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le rapprochement que je viens de faire comme une apologie du système d’assistance légale usité en Angleterre : j’espère bien que personne ne me prendra pour un partisan de la taxe des pauvres ; seulement, comme les adversaires de la liberté commerciale puisent un de leurs principaux argumens dans les lieux-communs sur le paupérisme britannique, il m’a semblé utile démontrer que les souffrances du prolétariat en Angleterre sont probablement moins grandes que chez nous, et que nos rivaux ont infiniment plus de ressources pour y porter remède.

Pousser le parallèle jusque dans le domaine des faits moraux comparer par exemple les ressources et les progrès de l’instruction populaire dans les deux pays, ce ne serait pas sortir du domaine de l’économie politique, car à l’origine de tout progrès social il y a une question d’argent, et c’est ce qu’on ne remarque pas assez. Pour 1,000 individus de chaque sexe qui se présentent pour contracter mariage, on compte en Angleterre 295 hommes et 412 femmes incapables de signer ou même de lire leurs noms. En Écosse, les illettrés sont seulement dans la proportion de 114 pour les hommes et de 228 pour les femmes. — En France, on a constaté en 1859, par chaque millier de mariages, que 308 hommes et 456 femmes sont dépourvus de l’instruction la plus élémentaire. La supériorité de l’Angleterre sur ce point n’est pas très sensible, parce qu’il n’était pas dans ses traditions administratives de pourvoir aux dépenses d’école. Elle rougit aujourd’hui de sa négligence et s’applique à la réparer ! Mais pourquoi restons-nous tellement au-dessous de l’Écosse comme de beaucoup d’autres pays ? Est-ce qu’il y a dans la société française moins d’estime pour l’instruction, moins de pitié pour ces pauvres créatures que l’ignorance absolue va livrer à toute sorte de misères et de périls ? Non : c’est tout simplement parce que la France, qui s’est crue si souvent assez riche pour des dépenses de luxe, ne l’est point assez pour payer un bon et large enseignement populaire. Suivant le remarquable rapport auquel a donné lieu le concours des instituteurs primaires ; il n’y a eu qu’une voix pour demander que chaque commune ait sa maison d’école : 10,000 communes seulement sur 37,000 ont cet avantage, et pour élever dans les autres localités les bâtimens les plus modestes, il y aurait à dépenser 200 millions ! Il faut que la France apprenne encore à travailler et à économiser pour pouvoir faire un pareil sacrifice.

En rapprochant les traits principaux de ce parallèle, voici donc la population anglaise augmentant rapidement et suivant une progression qui se soutient depuis le commencement du siècle, tandis qu’en France l’accroissement est faible, avec tendance à se ralentir. L’Angleterre depuis 1815 diminue le capital et l’intérêt de sa dette