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La disproportion serait encore bien plus significative, bien plus affligeante pour nous, si on appliquait le même genre de recherches, non plus aux classes nécessiteuses, mais à celles qui vivent dans une aisance relative et peuvent garantir la sécurité des vieux jours sans trop enlever au présent. Les banques de prévoyance (life assurance) qui ont pour spécialité de servir des rentes viagères ou de verser un capital à la famille privée de son chef, sont très nombreuses en Angleterre : on en compte environ cent quatre-vingts, et on estime à 5 milliards de francs les sommes accumulées dont elles servent l’intérêt[1]. La prospérité de ces établissemens, symptôme de l’aisance publique, n’a jamais été plus remarquable qu’en ces derniers temps. De 1852 à 1854 inclusivement, vingt-six de ces compagnies seulement ont encaissé 539 millions. — Chez nous, les assurances sur la vie ne datent que du commencement du siècle, où l’état, en consolidant le grand-livre, a renoncé à constituer des rentes viagères. Il existe actuellement une quinzaine de compagnies tant à primes fixes que par mutualité, et malgré la garantie et les avantages que la plupart d’entre elles présentent, je doute qu’elles soient parvenues à recueillir jusqu’à ce jour 600 millions de francs.

Il est un fait qui a singulièrement contribué à fausser les appréciations du public français sur l’état économique de l’Angleterre : c’est la taxe des pauvres. En lisant les justes critiques auxquelles cette institution a donné lieu, on s’est représenté des bandes affamées, presque menaçantes, aux besoins desquelles suffisaient à peine 150 ou 200 millions arrachés aux citoyens. On a rêvé une société rongée par une misère exceptionnelle. Il eût été peut-être plus exact de tirer une conclusion opposée. La loi qui régit le paupérisme en Angleterre, très mauvaise assurément, et les Anglais le savent bien, n’en est pas moins un indice à signaler pour démontrer la richesse comparative de la nation. Il faut un corps social très vigoureux pour résister à un pareil remède. Tout individu, jeune ou vieux, valide ou infirme, qui se présente en affirmant qu’il a besoin de secours, a droit à l’assistance. Cette aveugle générosité ouvrait carrière à bien des abus : entre la paresse des ouvriers et la rapacité de certains maîtres, il y avait une sorte d’entente secrète dont le résultat était de faire payer par la paroisse une partie des salaires. À partir de 1834, une série de mesures ont modifié les traditions de la charité légale de manière qu’elle ne fût plus réclamée que dans les cas de sérieuse nécessité ; Suivant l’appréciation

  1. « Il a été calculé en 1849 qu’une somme de cent cinquante millions sterling était assurée dans les offices anglais, et trente-quatre millions en Écosse. Suivant les probabilités, la somme assurée a présent dans les trois royaumes unis atteint, si elle ne dépasse, deux cent millions de livres sterling ! » (Revue d’Edimbourg ! » janvier 1859.)