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a constaté avec étonnement que ce genre de progrès profitait plus particulièrement aux ouvriers de la dernière classe, aux simples manœuvres. C’est que la multiplicité des échanges, donnant lieu à un remuement de masses énormes, oblige à dégourdir toutes les forces pour les utiliser. En 1860, l’Angleterre a importé 46 millions d’hectolitres de grains deïtoute sorte, ce qui représente le chargement de 3,500 bâtimens de 1,000 tonneaux chacun. Qu’on imagine ce qu’il faut de tisserands et de forgerons dans les fabriques pour payer tant de grains, et ce qu’il faut d’ingénieurs, de charpentiers de matelots, de portefaix pour la construction et le service de ces flottes ! On avait conservé jusqu’en 1850 une taxe sur les briques, dont le trésor tirait, au taux de 7 fr. 25 c. par mille pour les petites et de 12.fr. 50 c. pour les grandes, un revenu annuel de 12 millions de francs. Bans ces conditions, on fabriquait environ 1 milliard 200 millions de briques, valant une quarantaine de millions et pesant au moins 3 millions de tonnes. La brique étant le principal élément des constructions en Angleterre, on reconnaît qu’une taxe de ce genre équivaut à un impôt sur le logement du pauvre et tout le monde au parlement se trouve d’accord pour la supprimer. La fabrication étant soulagée d’une charge de 20 pour 100, et : surtout n’étant plus gênée par la surveillance des collecteurs de l’excise, elle change aussitôt ses procédés, perfectionne son outillage, et arrive à produire 2 milliards de briqués, valant au moins 60 millions. Il y a donc depuis dix ans une plus-value de 20 millions à partager entre les briquetiers, les charretiers, qui ont 2 millions de tonnes à voiturer en plus, les maçons, qui ont plus de maisons à construire, et peut-être les pauvres gens paient-ils leurs loyers un peu moins cher. Voilà comment les salaires s’élèvent en raison d’un travail plus demandé, voilà comment on attache un peuple aux institutions nationales !

En même temps que les ressources du prolétariat augmentent, les prix des consommations s’amoindrissent. Autrefois la cherté des denrées en Angleterre, à Londres surtout, était proverbiale ; je crois qu’aujourd’hui nos voisins ont l’avantage sur nous, du moins pour beaucoup d’articles. Depuis que le monopole n’assure plus au blé anglais une prime de 20 à 25 pour 100, les cours tendent à se niveler avec ceux des marchés continentaux. Les prix de 1859 se sont réglés en moyenne à 19 francs l’hectolitre, et si ce taux est. resté encore un peu supérieur au prix français, la différence n’était déjà plus de nature à influer notablement sur le prix du pain. Il est même à propos de faire une remarque que l’expérience vérifiera : dans les années fertiles où une faible importation sera suffisante, le blé se maintiendra en Angleterre à un niveau un peu plus élevé que dans les pays où une réglementation vicieuse détermine