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bénéfices réalisés dans les entreprises n’étant point détournés artificiellement de leur fonction naturelle, le capital reproducteur se multiplie avec la puissance de l’intérêt composé en surexcitant de plus en plus l’activité nationale. La liberté, en matière de crédit, n’est pas complète en Angleterre ; mais le monopole y est bien moins exclusif que chez nous. Un économiste financier très judicieux et bien placé pour observer les faits dans leur réalité, M. Newmarch[1], a poursuivi pendant plusieurs années une laborieuse enquête dont on peut conclure que le capital mobile au service des banques publiques et particulières, et destiné aux escomptes de billets, aux avances sur, marchandises, aux facilités de toute sorte offertes à la spéculation, doit s’élever actuellement à 8 milliards de francs pour les trois royaumes, et qu’il y a constamment dans les portefeuilles des lettres de change et billets à ordre escomptés pour plus de 3 milliards. Si l’on entreprenait un calcul analogue pour la France, on arriverait à démontrer, je crois, que le capital consacré aux mêmes usages atteint à peine 1 milliard 1/2, dont les deux tiers ne sont probablement pas utilisés dans l’escompte du vrai papier de commerce.


CONSOMMATIONS. — Peut-être beaucoup de Français diront-ils : La vitalité commerciale de l’Angleterre est évidente, sa force productive dépasse la nôtre de beaucoup, nous voulons bien l’avouer ; mais la nation prise dans son ensemble est-elle plus heureuse ? Y a-t-il plus d’aisance et de sécurité au sein des multitudes obligées au travail quotidien ? A-t-on à craindre moins qu’autrefois cet antagonisme des classes qui mine les institutions, qui conduit les sociétés à la décadence en donnant à croire qu’elles ne sont plus dignes de la liberté ? A cela je répondrai qu’on ne ressent plus dans la société anglaise les appréhensions qui existaient il y a trente ans, et qui devinrent assez vives à cette époque pour qu’on abordât d’urgence la série des réformes. Ce n’est point à dire que toutes les plaies soient fermées ; mais le progrès est si évident, si généralement senti, que l’irritation a disparu ; les pauvres déjà doivent assez à la liberté commerciale pour attendre qu’elle achève son œuvre. On entrevoit, d’après les registres de l’încome-tax, dans quelle proportion l’enrichissement collectif du pays a profité aux classes directrices. En 181 A, la matière imposable, c’est-à-dire l’addition de tous les revenus inférieurs à 1,250 francs, donnait (Irlande non comprise) un total de 4 milliards 300 millions de francs. Aujourd’hui la taxe n’est prélevée qu’à partir de 2,500 francs, mais elle comprend les trois royaumes. Le total des revenus déclarés s’élève

  1. Voyez Tooke et Newmarch, History of prices, tome VI, pages 605 et 743. — L’abondance vivifiante du capital mobile en Angleterre tient pour beaucoup à l’usage des chèques, qu’il serait si important de naturaliser chez nous.