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En tout pays, la richesse augmente comparativement au passé, et partout on se plaint de la gêne eu égard aux nécessités du présent.

Il y aurait bien d’autres contradictions à signaler. On s’abuserait étrangement, si l’on s’obstinait à ne voir ici qu’un jeu aveugle des passions humaines, un effet sans cause. Des symptômes analogues apparaissent chaque fois qu’un principe nouveau, et naturellement suspect jusqu’à ce qu’il soit bien compris, vient mettre le passé aux prises avec l’avenir. L’Europe est entrée en plein dans une crise de ce genre. Le principe auquel il est fait allusion en ce moment, celui de la liberté économique, semble déjà ancien, si l’on n’y veut voir qu’une hypothèse philosophique, discutable comme toutes les formules d’école. Ce qui est essentiellement nouveau, c’est l’adoption de la théorie par un grand peuple comme maxime fondamentale de son gouvernement, et un essai tellement heureux qu’il devient un fait politique de première importance. Dire en quoi consiste cette rénovation, et pourquoi elle se généralisera infailliblement dans le monde civilisé, montrer comment le phénomène économique, c’est-à-dire la politique appliquée aux intérêts positifs, réagit sur cette autre politique qui prétend s’inspirer de la notion abstraite du droit, mais qui ne découle en réalité que des antécédens historiques, des habitudes invétérées et du hasard, ce sera justifier le titre général donné à ces études. Avant d’en venir aux explications théoriques, il est bon d’épuiser les preuves matérielles.


I. — FRANCE ET ANGLETERRE COMPAREES.

Une douzaine d’années avant la fin du dernier siècle, vers 1788, les deux grandes nations qui partagent ou se disputent actuellement la prépondérance, la France et l’Angleterre, professaient à peu près les mêmes principes en matière d’économie sociale : comme pratique industrielle, comme richesse et vitalité, elles se faisaient à peu près équilibre. Ce fait, que l’on a perdu de vue chez nous, ressortira des développemens qui vont suivre. L’une des deux nations, l’Angleterre, pousse à l’extrême le vieux principe commercial, et elle en ressent les mauvais effets. Elle change, de direction, et pendant quarante ans, avec une énergie et un bon sens infatigables, elle prend à tâche d’aplanir un à un les obstacles à l’activité industrielle, d’abolir cette prétendue protection qui n’est que le masque du privilège, de restituer à l’individu, dans l’ordre du travail, sa pleine autonomie comme sa complète responsabilité. Même avant l’Angleterre, l’autre grande nation, la France, a l’intuition de la