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mande si la ville est encore loin. Il paraît que nous y sommes. De grands chemins de sable dont les berges herbues sont broutées par des vaches, des moutons et des oies, des chaumières entourées de jardins à palissades, de grands lopins de terre nus et arides, c’est la capitale des États-Unis. Le prince va demeurer avec Ferri chez M. Mercier à Georgetown. M. de Geoffroy, premier secrétaire de la légation, donne l’hospitalité au commandant Bonfils, au colonel Ragon et à moi. À mesure que nous avançons, les enclos se resserrent, les maisons se rapprochent et arrivent à former des rues ; mais sauf une place avec quelques boutiques, place à laquelle aboutit une croix de percées droites et larges, la ville est une réunion très agréable et très fraîche de maisons de campagne. Les rues sont désignées ici, comme à New-York et Philadelphie, par des lettres et des numéros, ce qui est simple, mais peu commode, à mon sens, pour la mémoire. Beaucoup de tavernes, mais pas de cafés, encore comme à New-York. Les chemins de la ville, car ce ne sont pas des rues comme nous les concevons, sont remplis de soldats qui campent au hasard et vivent ici comme en pays conquis. Outrés de n’être pas payés, il n’est pas rare, nous dit-on, de les voir demander l’aumône avec un revolver à la main. Les femmes, si respectées des Américains, ne se hasardent guère parmi ce ramassis de mercenaires de toutes nations. Aussi n’en ai-je pas aperçu du tout.

Nous descendons de voiture à la légation, devant un grand square planté d’arbres, assez près du Capitole et de la Maison-Blanche, résidence du président. Tu connais aussi bien que moi, par les gravures, ces monumens modernes réguliers dont il n’y a rien à dire en bien ou en mal, et dont, ici comme à New-York et à Philadelphie, le principal caractère est de n’en avoir aucun. Nous allons rejoindre le prince, qui dîne chez M. Mercier. Jolie maison de campagne, beau jardin avec une vue délicieuse qui s’étend jusqu’aux collines couvertes de tentes. Ce sont les avant-postes de l’armée du nord ou de l’union, c’est tout un. L’armée du sud ou des sécessionistes, ou des rebelles, comme on dit ici, n’est qu’à une distance de quarante kilomètres, de l’autre côté du Potomac. Le baron Mercier, homme parfaitement aimable, nous sert à la française un dîner très français.

Washington, 3 août.

Trente-cinq degrés de chaleur nuit et jour. Cette température molle et soutenue, avec accompagnement de moustiques, m’a fait sauter hors du lit, tout criblé de blessures. J’avale un grand verre d’eau tiède, vu que toute la glace a fondu pendant la nuit, et je mets le nez à la fenêtre en même temps que l’aurore mettait le sien sur l’horizon. Les becs de gaz, qui semblent être en plein champ,