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gîtes ? L’hospitalité est bruyante et courtoise. Toute une population aux fenêtres, sur les terrasses et les galeries de l’édifice nautique, salue notre pavillon, les femmes en agitant leurs mouchoirs, les hommes en poussant des hourras ; mais cela passe comme un rêve : c’est tout simplement un gros steamboat qui va je ne sais où. Nous jetons l’ancre à l’entrée de la ville, en face de La Batterie.

Vus du yacht, ces clochers, ces monumens de pierre brun rouge, pauvres imitations du style grec ou du gothique, ces hautes maisons carrées à six étages percées d’innombrables petits yeux, toutes collées les unes aux autres, ne parlent point au sens artiste. Si l’habitation de l’homme est l’homme même, ces bâtisses régulières, cette froide rigidité de lignes, sont en pleine harmonie avec ce que l’on s’attend à trouver en fait d’imprévu et de pittoresque chez ce peuple nouveau, positif par conséquent ; mais je t’entends me crier : « Tu veux trouver l’Afrique partout à présent ! » Eh ! je sais bien qu’il faut l’oublier ici. Je sais bien que me voici sur la terre où il faut regarder devant soi, et ne pas demander au passé le sens du présent et de l’avenir.

Comme il est six heures du soir, il n’est pas question d’autre chose que de jeter un coup d’œil à travers la ville. Une échelle posée de travers et cachée à demi par un gros bateau à vapeur est l’unique débarcadère des petites embarcations. On arrive sur un quai sale et dépavé ; mais on trouve bientôt des voitures de remise, et l’on roule dans Broadway, interminable artère de la ville, douze kilomètres de long. C’est large et populeux, et les riches maisons, les vastes magasins, les innombrables voitures publiques, ne sont qu’étendue et mouvement sans révélation d’aucune pensée de vraie grandeur et de vraie splendeur. Nous passons devant plusieurs squares, deux ou trois églises protestantes ou catholiques ; aucun caractère particulier ne les distingue. — Un cimetière en plein boulevard ! — L’hôtel de ville tout en marbre blanc, grandes dimensions, rien qui ait cachet ou couleur, rien qui puisse faire dire au voyageur autre chose que ceci : visite à des bourgeois riches.

Mais j’apprends-là une grosse nouvelle. Aux quatre coins du monument flottent des drapeaux noirs et blancs qui tranchent parmi les drapeaux nationaux dont la ville est constamment pavoisée depuis le commencement de la guerre. Je demande pourquoi ces insignes funèbres ; on me répond que la patrie porte le deuil de ses enfans tués a Bull’s-Run. Qu’est-ce que Bull’s-Run ? La bataille gagnée ? — Non, une prudente retraite. Ainsi la fameuse victoire annoncée d’avance dans les journaux de New-York était un rêve dont voici le triste réveil.

Promenade au parc central. C’est un reste de forêt dont on vient