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en personne apparaît enfin et fait les honneurs de son cabinet : oiseaux empaillés, insectes et coquillages. On retourne au jardin. Un bison fort velu et fort en colère se précipite sur nous, mais un arbre posé en travers arrête sa fureur et reçoit le choc ; l’animal recule et recommence stupidement à se heurter la tête à grand bruit. Un peu plus loin, dans un tonneau ouvert, notre hôte, qui ne s’étonne de rien, fourre son bras jusqu’à l’épaule et prend dans sa main une immense salamandre, un grand hideux serpent et quatre serpentins de mauvaise mine. Il nous propose de nous les vendre ; merci, moi qui les aime ! Je ne suis pas bon naturaliste de ce côté-là. Le prince achète une tête d’élan, qui a, je crois, un mètre de haut sans les cornes, larges comme des omoplates d’éléphant. Ces animaux énormes sont communs, nous dit-on, dans les forêts du pays, ainsi que les caribous, les cerfs, les ours, les loups, sans parler des martres, chats sauvages, écureuils, lièvres, furets et autre menu peuple. Les serpens à sonnettes y sont plus rares.

23 juillet. — En revenant ce matin de l’autre rive de la baie d’Halifax, le prince a amené, traînée à la remorque de la Mouche, une longue pirogue en écorce de bouleau, montée par un vieux Indien, Iroquois micmac, avec son petit-fils et deux femmes. Le prince a acheté la pirogue et fait monter à bord du yacht le sauvage et sa famille. Ne va pas te représenter ces beaux Yowais à la peau rouge et aux traits nobles que tu as vus à Paris. Ceux-ci sont bistrés avec des reflets verdâtres. Le vieux est d’une laideur absurde, — une gueule à avaler toute la soute au pain du navire, des traits ignobles, et un costume !… Il porte, ainsi que monsieur son petit-fils, qui n’est guère plus beau que lui, une redingote noire à paremens rouges avec des épaulières brodées de petites perles blanc mat, une casquette à oreilles et à visière à passe-poil rouge, d’où sort une touffe de cheveux retroussée en queue de coq sur la nuque. Une des femmes, un peu moins laide et nommée Anastasie, était fagotée outrageusement avec une robe, une casaque à l’anglaise, un chapeau de paille rond et enrubanné. L’autre, plus âgée, portait une sorte de bonnet de police pointu en drap brodé de perles qui formaient un assez joli dessin. Ces paisibles Indiens sont convertis au catholicisme et à demi civilisés. Ils vivent dans des wigwams en écorce de bouleau appliquée sur des perches. J’avais vu hier plusieurs groupes de ces huttes dans ma promenade solitaire ; elles étaient à demi cachées dans les sapins sur l’autre rive d’un petit lac que je côtoyais. Nos sauvagesses ne se sont pas gênées pour demander des cadeaux. Le vin qu’on leur a servi ne leur plaisait pas, elles n’en ont bu qu’avec répugnance et ont préféré le café et l’eau-de-vie. Quant au vieux homme vert, il a mangé et bu de tout avec