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Nous mouillons devant Punta-Delgada, ville de vingt mille habitans. Les gens du peuple ont une coiffure singulière, une casquette en drap à visière démesurée et a oreilles qui descendent comme un collet jusqu’au milieu du dos et se boutonnent sous le menton, en couvrant la poitrine comme le chaperon du moyen âge. Les femmes portent un long manteau de drap bleu foncé, orné d’un capuchon exagéré qui, rabattu sur le visage, leur donne un aspect monacal.

Promenade dans de fort beaux jardins particuliers, où des araucarias de vingt à vingt-cinq pieds de haut poussent avec vigueur à côté de peupliers blancs ; les giroflées, les œillets, les roses de Bengale, pêle-mêle avec les camélias, les polygalas arborescens, les asclépias odorantes, les magnolias, etc. Le climat est si doux et la terre de pouzzolane si fertile que les plantes des deux hémisphères y croissent en plein air dans les jardins. Nous avons été ensuite visiter, à la lueur des torches, une galerie souterraine de deux kilomètres de long, qui, partie des flancs du volcan, aboutit à la mer. Ce conduit ou plutôt cette cheminée volcanique, de vingt-cinq pieds de large sur une hauteur qui varie de vingt à trois pieds, est creusée dans la lave, et les parois sont usées et rayées horizontalement, comme si une coulée incandescente y eût été balayée par un flot d’eau bouillante. Le sol est couvert de grosses scories qui vous meurtrissent les pieds, et le passage est souvent intercepté par des barricades de matières calcinées.

11 juillet. — À cinq heures du matin, le Jérôme-Napoléon rebrousse chemin jusqu’à Ribeira-Grande, où nous descendons à terre pour aller au village de Las Furnas. On ne trouve d’abord sur le rivage que deux ou trois montures pour les dames ; mais, à mesure que nous avançons dans la montagne, nous mettons en réquisition ânes et âniers qui descendent chargés de fagots et de bruyères. Chaque indigène jette là sa broussaille en travers du chemin, et chacun de nous enfourche un quadrupède. Nous grimpons par de petits sentiers, véritables escaliers qui côtoient les flancs arides des pics volcaniques coupés de profondes vallées où coulent des torrens qui bondissent et bouillonnent au milieu des scories et des quartiers de lave. Ce pays a un aspect fantastique. Ici la montagne est fendue en trois parties, et forme des précipices de pouzzolane de trois à cinq cents pieds de pente rapide, sans un arbuste, sans un brin d’herbe ; là, une série de mamelons ressemble à une croûte soulevée incandescente, puis affaissée sur elle-même par l’effet du refroidissement. Toutes les hauteurs sont couvertes de petits cônes volcaniques. Après les sentiers taillés dans la lave viennent les chemins frayés dans la pierre ponce, bordés de maigres bruyères