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une obscurité mystérieuse. La galerie des Murillo est la véritable apothéose de ce maître, un peu discuté chez nous dans ces derniers temps : mais en le voyant ici dans toute sa gloire, dans ses types, dans la vérité des expressions et dans la magie de sa couleur, il faut l’admirer sans restriction. L’Alcaçar est sans reproche aussi. Le mélange de l’arabe et du gothique est d’un goût délicieux. Au milieu des arabesques d’or qui remplissent la coupole de la grande salle sont enchâssés en médaillons de charmans portraits du xvie siècle qui rappellent la manière de Clouet. On fait de grandes réparations à ce palais, et on fait bien. Je rapporte un souvenir des Jardins de l’Alcazar, délices des rois mores, c’est un scarabée (l’oryctes latus) qui se promenait, non sous les vieux sycomores, il n’y en a que pour la rime, mais sous les ormeaux poudreux.

Sauf le désenchantement du regard paysagiste, me voilà très réconcilié avec l’Espagne d’aujourd’hui. Quel progrès depuis vingt ans dans ce pays qui n’est pas réputé progressiste ! Il faut revoir les choses humaines à de certaines distances pour s’apercevoir de leur marche. J’avais vu en Catalogne des soldats sales, pouilleux, affamés, vêtus de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mais d’un arc-en-ciel, qui serait tombé dans le ruisseau, des paysans blêmes de misère et de peur, fortifiés dans leurs masures et traînant des guenilles sans nom sur leurs membres décharnés, des mozos de escuadra. affreuses caricatures de gendarmes chaussés de ficelle et portant des chaînes et des cordes à leur ceinture, des dandies portant aussi des chaînes en évidence, mais des chaînes de montre sur leurs redingotes à collet de chinchilla, des Barcelonaises qui dédaignaient la mantille pour le chapeau français arriéré de dix ans. — Aujourd’hui je vois de bonnes troupes, de vrais uniformes, de la propreté, des figures vraiment militaires, des paysans aisés qui ont bonne trogne, comme dirait Rabelais, des gentlemen habillés comme on s’habille partout et ne cachant plus sous le manteau la malpropreté de leurs personnes, des femmes ramenées par le goût et la coquetterie bien entendue à l’usage charmant de la mantille et du costume noir pour la journée : le soir, toutes sont en toilette : robe de mousseline, avec trois fleurs dans les cheveux, la mantille transparente et l’éventail, ce sceptre qu’elles manient si bien.

Le costume du peuple est élégant : veste et culotte en velours de couleur sombre, ornées de petits boutons de métal : la culotte est courte et fendue sur le côté extérieur de la jambe ; une large ceinture rouge ceint la poitrine et les reins ; des guêtres entr’ouvertes. Pas de gilet, mais une chemise bien blanche dont le plastron dessine la poitrine bombée de ces hommes au nez aquilin, au visage brun encadré de gros favoris noirs. Coiffés du sombrero à bord retroussé