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la prétention des grands souvenirs historiques ; mais quand on est un fleuve des contes arabes, quand on est illustré par les romans et les romances et lié à tout l’idéal des fêtes et des délices, il n’est guère permis de charrier des eaux bourbeuses dans un pays tout plat. Ne va pas croire, d’après certains récits, qu’un magique horizon de montagnes rehausse cette plaine monotone. Les lointaines découpures de la Sierra-de-Ronda sont si pâles et si petites qu’il faut avoir grande envie de les apercevoir.

Hier, tout le long du chemin, le docteur Yvan me disait pour me consoler de la laideur du pays :

Que non à visto Sevilla
Non à visto maravilla.

Acceptons Séville pour une merveille à cause de ses édifices, mais étonnons-nous de tant d’esprits tournés à l’exagération poétique dans le cadre d’une nature comparable à la Beauce, à peine coupée par quelques garigues de Provence. Je crois du reste que mon étonnement tient à la différence des goûts et des appréciations que les temps apportent dans les arts et dans la pensée. Je crois qu’avant ce siècle-ci les pays accidentés étaient un objet d’horreur. Personne ne pouvait regarder sans frémir une montagne, comme ce personnage de marionnettes qui ne pouvait parler d’un précipice sans y joindre l’épithète d’affreux. Le site escarpé ne présentait à l’homme que vertige et péril ; il a fallu des routes hardiment découpées dans ces lieux grandioses pour que l’admiration pût naître avec la sécurité. Mais au moins les Grecs chantaient les collines et les bocages ; où sont les bocages et les collines de la merveilleuse Séville ? L’idéal de ces temps de splendeur était donc, comme celui de nos gens de campagne, le champ labouré qui rapporte de l’argent ? Il faut le croire, mais je me figurais autre chose.

Les fameux remparts mauresques de Séville perdent de leur effet par leur monotonie sur cette vaste étendue sans mouvement de terrain. Ils ont, je crois, deux lieues de circuit et cent cinquante ou cent soixante tours toutes pareilles. C’est d’une construction élégante et fine dont l’aspect ne présente pas l’idée de la force nécessaire à la défense d’une grande ville, mais plutôt celle d’un mur d’octroi dissimulé par la coquetterie de la silhouette. Sur les bords du Guadalquivir, j’ai vu le palais du duc de Montpensier près de la promenade nommée avec l’emphase de la localité las Delicias ; ce n’est que joli. Quant au palais, il est fort beau.

Je rentre en ville, je retourne à la cathédrale, aussi belle au dedans qu’au dehors. Grande physionomie riche et sombre ; les merveilles de l’ornementation architecturale sont entassées dans