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lui comme pour Turenne, la paix d’Aix-la-Chapelle fut un vrai crève-cœur. À peine conclue, il donnait à Louvois le conseil de la briser à la barbe des médiateurs, en « prenant Condé sans faire tant de cérémonies. Il n’y a point de juges plus équitables que les canons ; ceux-là vont droit au but et ne sont point corruptibles. Faites que le roi les prenne pour arbitres, s’il veut avoir bonne et briève justice de ses justes prétentions. »

Pour mon compte, je n’ai pas eu la prétention de peindre complètement ici les illustres correspondant de Louvois. Je n’ai voulu que faire apparaître leur personne et faire entendre leur voix. Pour entrer dans leur familiarité, il faudrait lire les documens recueillis par M. Rousset. On peut contredire certaines de ses appréciations, on peut le trouver tantôt trop sévère pour la personne de Louis XIV, tantôt trop indulgent pour l’esprit de conquête ; mais on ne peut contester à ses récits trois mérites également rares : ils sont nouveaux, ils sont authentiques, ils sont vivans. Je le dis avec d’autant plus de plaisir que l’auteur de l’Histoire de Louvois est jeune encore. Il appartient à une génération à laquelle on a reproché trop tôt, j’espère, sa stérilité et son inertie. Je ne puis croire qu’elle soit sans idées et sans passions. Elle est peu bruyante sans doute dans ses aspirations vers l’avenir ; mais qui donc a le droit de le lui reprocher aujourd’hui ? Meurtrie par bien des chutes dont elle n’est pas responsable, elle languit sans résignation comme sans désespoir. Quand viendra pour elle le moment de l’action ? Dieu seul le sait ; mais en attendant qu’elle soit admise à dire sincèrement ce qu’elle pense du présent et ce qu’elle veut pour l’avenir, elle peut faire une œuvre utile à elle-même et au pays en appliquant à l’étude du passé cette virile liberté d’esprit et de langage, cet honnête sentiment de la vérité et du droit qui risquent de paraître factieux lorsqu’on les porte dans le jugement des faits contemporains. Que les jeunes générations entretiennent en elles-mêmes l’habitude qu’avait Vauban, celle de voir les choses comme elles sont et de les appeler par leur nom. C’est la condition de la santé intellectuelle et morale du pays. Il sera bien près d’avoir reconquis toutes ses libertés le jour où il sentira vivement ce que Benjamin Constant disait après avoir traversé les épreuves de la révolution et de l’empire : « Il nous a fallu des expériences assez douloureuses pour apprendre que les mots n’étaient d’aucune importance quand les choses n’existaient pas. »

Cornelis de Witt.