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set nous le montre en 1677 partant de Saint-Germain, le 1er mars, « par le plus effroyable temps qu’on pût voir, » arrivant le 4, presque seul, sans bagages, devant la place de Valenciennes, et la première nuit dormant tout habillé dans son carrosse, des feux allumés aux portières. En 1678, c’est le 7 février que Louis XIV part brusquement de Saint-Germain avec la reine et la cour. Il prend le chemin de la Lorraine sans qu’aucun de ceux qui l’accompagnent puisse savoir pourquoi. Son secret n’est connu que de Louvois, du maréchal d’Humières et de l’intendant Le Peletier. Il veut prendre Gand, et, pour investir la place, on doit attirer l’attention de l’ennemi sur un autre point. Il poursuit péniblement son voyage dans la direction de la Moselle, par des chemins effondrés, sans ménager le déplaisir des dames et des courtisans, pour qui s’ajoute, aux ennuis des carrosses embourbés, des mauvais repas et des méchans gîtes, l’irritation croissante d’une curiosité mal satisfaite. « Où allait-on ? Le soir, le roi lisait ses dépêches chez Mme de Montespan, on observait, on prêtait l’oreille, il ne disait rien et ne laissait rien deviner. Après quinze jours, le 22 février, on arrivait à Metz ; on y trouvait enfin de grandes nouvelles, un grand spectacle militaire. Partout, de la Meuse au Rhin, les troupes étaient en mouvement… Cinq jours après, à Stenay, le roi dédoublait sa suite ; la reine, les dames, les gens de cour, dans leurs carrosses, gagnaient Lille à petites journées, par Cambrai et Arras ; le roi et les militaires, à cheval, prenaient une autre route. Le 28, ils faisaient quatorze lieues tout d’une traite. Le 2 mars, ils étaient à Saint-Amand, au-delà de Valenciennes. « Sa majesté est extrêmement fatiguée, mandait Saint-Pouenge ; elle a avoué, en arrivant ici, qu’elle n’a de sa vie tant souffert. » Mais Gand était investi depuis la veille ; ni le roi, ni les officiers ne songèrent plus à la peine qu’ils avaient eue d’aller jusqu’à Metz pour revenir en Flandre. » Huit jours après, Gand avait capitulé.

Le courage, le secret, la prévoyance, l’esprit de combinaison, telles étaient les qualités militaires de Louis XIV. En dépit de ces qualités, il n’a jamais passé, et c’est justice, pour un grand général. Dans les circonstances critiques, il avait l’esprit embarrassé, le coup d’œil peu sûr, et il ne savait pas risquer. Il ne pouvait rien attendre de l’inspiration et ne voulait rien donner à la fortune. Dominé par la crainte non de se battre, mais d’être battu, non de compromettre les intérêts de l’état, mais d’exposer la majesté de sa royale personne aux atteintes d’un échec, timide par orgueil, il prétendait à la guerre ne frapper qu’à coup sûr, et c’est ainsi qu’à son amer déplaisir Louis XIV ne put jamais se décider à gagner une bataille rangée. « Si la guerre est une grande et belle science, dit