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« Depuis un tiers de siècle que je dirige l’administration forestière de la Saxe (dit M. de Berlepsch, directeur-général des forêts de ce pays), l’efficacité de ces principes s’est constamment vérifiée ; ni le gouvernement ni les chambres ne demandent à y apporter aucun changement. Un seul point toutefois me paraît encore appeler des améliorations : il faudrait que tout propriétaire ayant rasé ou arraché son bois fût tenu de cultiver le sol ou de le reboiser dans un délai fixé, et qu’il ne pût jamais le laisser nu et improductif. Malheureusement il est à craindre que l’on ne rencontre de l’opposition de la part des députés du pays, si l’on voulait s’immiscer à ce point dans la gestion des propriétés particulières, et je trouve moi même qu’il est préférable d’éclairer les propriétaires, par l’intermédiaire des sociétés et comices d’agriculture, sur leurs véritables intérêts, en leur montrant le moyen de tirer le meilleur parti de leurs domaines, plutôt que de les contraindre par une loi qui, obligée de descendre dans de nombreux détails, ne pourrait que difficilement s’appliquer avec la sûreté, l’équité et la fermeté convenables. Ce qui me paraît pour la France le point capital, c’est avant tout de garantir l’existence et la durée des forêts de l’état, des communes et des établissemens publics, et d’y introduire une culture intensive qui aujourd’hui leur fait défaut. Il faudrait aussi que l’état acquit pour les reboiser les vastes terrains déserts qui se trouvent dans les plaines, surtout dans les montagnes dénudées, et qui exercent une influence si funeste sur le régime des principaux cours d’eau. Cela vaudrait mieux que de tracasser les petits propriétaires en leur défendant par une loi de transformer un bois médiocre en un bon champ de blé. »


Cette opinion de M. de Berlepsch est précisément celle que nous avons constamment soutenue dans le cours de ces études. En Allemagne comme en France, le but final de toute la gestion administrative du domaine forestier de l’état, c’est l’exploitation et la vente des coupes annuelles. Toutefois il y a dans la manière de procéder dans les deux pays des différences sensibles : on n’y envisage pas au même point de vue les services que l’administration forestière est appelée à rendre. En France, les forêts sont considérées comme une source de revenus et exploitées en conséquence. Le mode de vente adopté est celui qui a paru le plus avantageux au trésor sans que l’intérêt du consommateur local ait jamais été pris en considération ; les coupes sont vendues sur pied, et les adjudicataires, libres de façonner leurs bois comme ils l’entendent, cherchent à en tirer le meilleur parti possible sans se préoccuper de savoir si tous les habitans du pays sont convenablement pourvus. En Allemagne, il n’en est pas de même : le gouvernement se croit tenu à certaines obligations envers les populations, et comme si, en devenant propriétaire de forêts, il avait voulu en quelque sorte leur conserver le caractère commun qu’elles avaient autrefois, il cherche beaucoup plutôt à satisfaire les besoins des habitans qu’à augmenter son revenu