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époque. La peste régnait à Londres. On lui remit en plein parlement un pli cacheté, renfermant, avec une lettre injurieuse, un lambeau d’étoffe qui avait servi au pansement d’un pestiféré. Un homme dont la tournure et le costume étaient à peu près ceux du redoutable tribun fut poignardé dans le vestibule de la salle des séances. Par un stratagème plus odieux peut-être, quoique moins tragique, la reine essaya d’atteindre mortellement dans son honneur celui dont la vie échappait aux maladroits sicaires de la monarchie. Il existe des lettres d’elle où elle avait glissé à dessein les insinuations les plus compromettantes sur les prétendues relations établies entre elle et le « roi » des communes. Dans un de ces venimeux paragraphes, elle allait jusqu’à mentionner le chiffre d’une somme promise à Pym par la cour, « et dont, disait-elle, il attendait le paiement avec impatience[1]. » Étonnons-nous maintenant des méfiances et des haines qu’inspirait au parti populaire anglais cette princesse en qui Rome avait mis tant d’espérances, et qui, entourée, circonvenue sans cesse par des prêtres intrigans, pratiquait si largement leur perfide politique.

Plus la situation s’aggravait et demandait des mesures extrêmes, plus il devenait urgent de les faire sanctionner par l’opinion. Insistons en effet sur ce point : les communes n’avaient encore qu’un pouvoir de droit, mais aucune force de coercition. L’obéissance aux décrets rendus par elles était absolument facultative. Elles avaient bien fait saisir sur son siège, par l’huissier de la verge noire, un juge du King’s Bench (sir Robert Berkley), qu’elles regardaient comme traître pour s’être prononcé en faveur de la taxe des vaisseaux ; mais on ne pouvait compter sur l’huissier de la verge noire pour faire marcher les milices ou lever l’impôt. L’appel au peuple était l’unique moyen de déterminer ce grand courant d’opinion qui entraîne et domine les résistances individuelles. C’est pourquoi, sans plus de retard et dès le 8 novembre, le projet de « déclaration et remontrance » reparaît devant les communes. Il est aisé d’apprécier l’opportunité, l’importance de ce manifeste, en voyant quelle agitation, quelles alarmes il jette parmi les partisans de la prérogative. Elles sont naïvement exprimées dans les lettres quotidiennement adressées par le sous-secrétaire Nicholas au monarque absent, qu’il rappelait à grands cris. Sans s’expliquer sur l’époque de son retour, Charles lui mandait en réponse de réunir, de grouper les députés fidèles, et d’arrêter, de retarder à tout prix la déclaration.

  1. M. Forster donne le texte même des lettres de la reine (the great Remonstrance, p. 186, en note). Voici le passage auquel nous faisons allusion : “As to the thirty thousand pieces, which Pym sends me word have been promised a long time ago, and not sent, » etc.