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paysan riche ou un rude marin qui l’épousera sans lui demander compte de quelques battemens de cœur apaisés et oubliés.

— Fort bien ; mais pour lui persuader cela il faut que je retourne la voir, et j’ai juré que ce serait aujourd’hui la dernière fois, car chaque visite ramène ses illusions. Voulez-vous vous charger de lui faire entendre raison ?

— Elle m’a défendu, à cause de vous, de revenir.

— Mais si je vous en prie !

— Mon cher, cette maison me fait un mal horrible. Moi aussi je déteste le suicide, et je ne peux pas oublier que ce malheureux Roque était le proche parent de ma mère. Et puis je suis jeune, et mes visites feront jaser. Il faut employer Aubanel.

— Elle ne veut pas entendre parler de lui.

— Pourquoi ?

— Parce que son chien a voulu dévorer le sien.

— Voilà une belle raison !

— Nama est de cette force-là. N’oubliez pas qu’à beaucoup d’égards nous avons affaire à une enfant de six ans.

— Eh bien ! M. Pasquali n’a pas de chien. Chargez-le de parler à votre place, et pour qu’il y mette le zèle d’un ami, dites-lui la vérité.

— Vous avez raison, je la lui dirai demain.

— Demain ! m’écriai-je, saisi de nouveau d’une risible épouvante à l’idée que le lendemain il repasserait à Tamaris.

— Eh bien ! oui, demain, reprit-il. Faut-il ajourner ce qui est décidé ? Venez-y avec moi à neuf heures du matin. Je ne peux plus m’absenter le soir d’ici à une semaine ; voilà pourquoi, voulant en finir aujourd’hui avec la maison maudite, j’y étais retourné en plein jour.

J’aurais préféré qu’il allât chez Pasquali le soir : à peine la nuit venue, je savais que la marquise ne sortait plus de sa maison ; mais il fallait bien céder à la nécessité. D’ailleurs La Florade ne me fournissait-il pas un prétexte pour la revoir moi-même le lendemain ? Nous convînmes de nous rendre en canot à la bastide Pasquali sans passer par La Seyne.

George Sand.
(La seconde partie au prochain n°.)