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rettes et que vous passez pour un homme à bonnes fortunes ? C’est que cela vous plaît, allez ! et que vos regards, vos manières, vos paroles trahissent, même malgré vous, cette inquiétude fiévreuse que vous avez de dépenser toute votre vie dans un jour !

En parlant ainsi à La Florade, j’étais irrité, j’étais cent fois plus fou que lui ; je me disais qu’avec son fluide électro-magnétique et la naïveté de ses émotions, aussi vives à vingt-huit ans, après une vie orageuse, que celles d’un jeune écolier, il pourrait bien plaire à la marquise, si elle venait à le rencontrer. J’étais donc jaloux de cette femme, dont il ne savait pas le nom et qu’il n’avait pas encore vue.

Ma vivacité le fit rire. Il prétendit que j’étais épris de Mlle  Roque. Je me souciais vraiment bien de Mlle  Roque !

— Enfin, mon ami, me dit-il, « tire-moi du danger, tu feras après ta harangue. »

— C’est juste ; voyons ! — Eh bien ! il ne faut jamais remettre les pieds chez elle, ou il faut l’épouser. Quoi que vous en disiez, vous y avez songé, puisque vous eussiez voulu pouvoir acheter pour elle le sot et aride terrain que j’ai sur les bras.

— Vous n’avez pas daigné le regarder, ce terrain, reprit La Florade en riant. Moi, je l’ai contemplé ce matin, et vous pouvez, je crois, le voir d’ici. Oui, c’est cette bande de terre humide, là-bas, tout en bas ; regardez.

— Qu’est-ce que ça ? des artichauts ?

— Eh ! oui, mon cher. Un champ d’artichauts de cette vigueur-là représente de la terre à cinq pour cent. Vous avez le meilleur lot ; mais ça ne fait pas que je doive épouser une bayadère. Si vos artichauts eussent été des lentisques ou des genêts épineux, si, avec deux ou trois mille francs, j’eusse pu assurer le sort de cette pauvre fille, je me serais payé cette satisfaction-là, afin de ne plus avoir à y penser ; mais endetter toute ma vie pour elle,… en réparation de quoi ? je vous le demande. — Pourtant si vous pensez que ma conscience y soit engagée,… car enfin voilà qu’on sait mes visites et qu’on jase,… je ferai ce que vous conseillerez. Je ne vous consulte pas pour n’agir qu’à ma guise.

— Vous voilà bien, cœur d’or et folle tête ! Non, je ne vous conseille pas cela. Tâchez de décider Mlle  Roque à quitter cette maison où elle deviendra folle, et à s’en aller vivre ailleurs où elle n’espérera plus vous voir. Décidez-la aussi à vendre quelques bijoux inutiles, Pasquali m’a dit qu’elle en avait pour une certaine valeur ; alors, qu’elle vende ou non la bastide, elle pourra échapper aux propos qui ne font que d’éclore, et trouver, à deux ou trois lieues d’ici, dans un coin où vous aurez soin de ne jamais passer, un bon