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ensemble l’étude et l’exercice. J’apprends tout ce que j’ai à lui apprendre. J’ai des livres, je travaille un peu le soir, quand il est couché. Je tâche de m’instruire pour l’instruire à mon tour. Nous faisons de grandes promenades ; nous étudions l’histoire naturelle en courant, et il y trouve un plaisir extrême, sans cesser d’être joueur et lutin. Quand vous m’aurez tranquillisé l’esprit sur les études classiques…

— Je m’en occuperai dès ce soir.

— Eh bien ! merci, dit-elle en me tendant la main. Et à présent laissez-moi vous dire que je ne suis pas si indiscrète ou si légère que j’en ai l’air en acceptant vos soins et en réclamant vos services. On est toujours dans son droit quand on se fie à la bonté d’un cœur et à la raison d’une intelligence : or je vous connais depuis longtemps.

— Moi, madame ?

— Oui, vous ! Est-ce que le baron de La Rive ne vous a jamais parlé de moi ?

— Plusieurs fois au contraire.

— Eh bien ! il était tout simple qu’il me parlât de vous. Il est un de ces vieux amis dont je me vantais tout à l’heure, et si vous ne m’avez rencontrée chez lui qu’une seule fois, lorsqu’il a été si malade il y a deux ans, c’est parce qu’à cette époque, ayant moi-même un malade à soigner, je ne devais pas sortir ; mais le baron, depuis sa guérison, m’a écrit d’Italie. Il ne me sait pas encore ici, il ne savait pas que je vous y rencontrerais ; il m’a dit vos soins pour lui, votre dévouement, votre mérite,… et votre nom, que je ne savais pas mettre hier sur votre figure, mais que M. Aubanel m’a dit ce matin en me confirmant votre identité. Au revoir donc, et le plus souvent que vous pourrez !

Tout cela était bien naturel, bien simplement dit, et avec la confiance d’une noble femme qui s’adresse à un homme sérieux. D’où vient donc qu’en descendant l’escalier rustique pour aller chez Pasquali, j’étais comme un enfant surpris par l’ivresse ? Moi, d’une organisation si bien matée par la volonté, je sentais un feu inconnu monter de mon cœur et de ma poitrine à ma tête. Il me semblait que ce long escalier surplombait la mer éblouissante, et que j’allais étendre deux longues ailes pour m’y précipiter, ni plus ni moins qu’un alcyon en délire de force et de joie.

Aimer cette femme ! Pourquoi l’aimer, moi qui à trente ans avais su me défendre de tout ce qui pouvait me distraire de mes devoirs et entamer ma persévérance et ma raison ? Cet impétueux La Florade m’avait-il inoculé sa fièvre de vie et d’audace ? Mais cela ne m’allait pas du tout, et je me sentais ridicule sous cette peau de lion !