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qui me plaît ; mais, si vous êtes peintre, ce n’est pas ma faute ! Si vous me montrez un portrait qui me tourne la tête ! On peut s’éprendre à la folie d’un portrait. Cela se voit dans tous les contes de fées, et la jeunesse se passe dans le pays des fées. J’irai demain à Tamaris. Je suis sûr que Pasquali jure après moi, parce que je l’abandonne !

Le lendemain, il était à Tamaris ; il en revint sans avoir aperçu la dame. Elle était partie dès le matin en voiture, avec son enfant, pour une promenade dont M. Pasquali ignorait le but. Les devoirs du service ne permettaient pas à La Florade d’attendre qu’elle rentrât. Il était désappointé, un peu rêveur, aussi contrarié que le permettait son caractère ouvert et riant.

— Il n’est pas possible, lui dis-je, que le regret de n’avoir pas vu cette inconnue vous pénètre à ce point. Cette aventure-là en cache une autre, n’est-ce pas ?

— Ma foi non ! répondit-il. Parlons de la batterie des hommes sans peur.

— Ah ! bien, c’est-à-dire ne me faites pas de questions !

Deux jours après, M. Aubanel, l’avoué que je consultais pour ma vente, et qui était précisément le propriétaire de la bastide Tamaris, m’engagea à ne pas vendre mon terrain à Mlle Roque, la fille naturelle de mon défunt parent. Il motiva ce conseil sur ce que la pauvre héritière était bien capable de se faire illusion sur ses ressources, mais non de jamais rembourser.

Il m’est si odieux de me faire faire droit au préjudice d’une personne gênée, tant d’occupations plus intéressantes pour moi me rappelaient dans ma province, que j’eusse, à coup sûr, abandonné tout à Mlle Roque ou à mon ami La Florade, si cette mince affaire n’eût concerné que moi ; mais ma famille, fière et discrète, était pauvre. Mon père n’était plus, et ma mère rêvait de ces quinze mille francs pour doter ma jeune sœur. Tout est relatif ; cela avait donc de l’importance pour nous, et je résolus de m’en rapporter entièrement aux sages avis de M. Aubanel. Je ne pus cependant me défendre de lui demander si Mlle Roque était une personne digne d’intérêt.

— Je n’en sais rien, répondit-il. Elle a été élevée si singulièrement que personne ne la connaît. Et puis… Permettez-moi de ne pas m’expliquer davantage ; je craindrais de faire un propos hasardé. Voyez vous-même si elle vous intéresse.

— Je ne sais pas pourquoi elle m’intéresserait, répondis-je. Vendez mon terrain, et renvoyez-moi le plus tôt possible.

Une difficulté arrêtait M. Aubanel. La petite propriété perdait beaucoup à être divisée. Il eût voulu me faire acheter l’autre moi-