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en 93. Je ne pus résister au désir de gravir le talus rocheux qui nous séparait du fort à travers les chênes-liéges, les pins et les innombrables touffes de bruyère arborescente qui commençaient à ouvrir leurs panaches blancs. Nous atteignîmes le sommet de la colline, et je contemplai une autre vue moins gracieuse, mais plus immense que celle de Tamaris, toute la chaîne calcaire des montagnes de la Sainte-Baume, la petite rade de Toulon et la ville en face de moi, à l’ouest une échappée sur les côtes pittoresques de La Ciotat. — Montrez-moi la batterie des hommes sans peur, dis-je à M. Pasquali.

— Ma foi, répondit-il, j’avoue que je ne sais pas où elle est, et je doute que quelqu’un le sache aujourd’hui. Les bois abattus à l’époque du siège de Toulon ont repoussé, et par là-bas, car ce doit-être par là-bas ; au sud-ouest, il n’y a que des sentiers perdus.

— Cherchons.

— Ah ! bah ! que voulez-vous chercher ? Les paysans ne vous en diront pas le premier mot. Vous ne vous figurez pas comme on aime peu à revenir sur le passé dans ce pays-ci.

— Oui, trop de passions et d’intérêts ont été aux prises dans ces temps tragiques. On craint de se quereller avec un ami dont le grand-père a été tué par votre grand-oncle, ou réciproquement.

— C’est précisément cela.

— Mais moi, repris-je, moi qui n’ai eu ici personne de tué, moi dont le père était soldat à la batterie des hommes sans peur, je tiens à voir l’emplacement, et d’après ses récits je parierais que je le reconnaîtrai !

— Eh bien ! allons-y ; mais votre propriété ?

— Ma propriété m’intéresse beaucoup moins. Je la verrai au retour, s’il n’est pas trop tard.

— Alors, reprit M. Pasquali, il nous faut descendre la côte en ligne droite et suivre le chemin creux de l’Évescat, parce que je suis sûr que les corps français républicains ont dû passer par là pour aller assaillir le fort, pendant qu’une autre colonne partie de la Butte-des-Moulins passait par La Seyne.

Nous suivîmes pendant vingt minutes le petit chemin bas, ombragé et mystérieux qu’il désignait, puis pendant vingt minutes encore un sentier qui remontait vers des collines, et nous entrâmes à tout hasard dans un bois de pins, de liéges et de bruyère blanche de la même nature que celui du fort. Un sentier tracé par les troupeaux dans le fourré nous conduisit à une palombière. Dix pas plus loin, pénétrant à tour de bras à travers les buissons épineux, nous trouvâmes les débris d’un four à boulets rouges et les buttes régulières bien apparentes de la fameuse batterie ; les arbres et les arbustes avaient poussé tout à l’entour, mais ils avaient respecté la