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cymbales en métal de cloche, grandes comme des pièces de cinq francs, et les frappait de la main droite avec une autre cymbale de même dimension. Le reste des sorcières formait le chœur, répétant sept fois de suite la même phrase. Le tableau ne manquait pas de caractère ; mais nous avions la tête fendue, et mes compagnons, n’y pouvant plus tenir, réclamèrent l’apparition des ballerines. Mosna nous répondit qu’il n’y avait pas de danseuses et que ce que nous entendions n’était pas chose à danser. Nous sommes partis sans qu’aucun de nous pût expliquer aux autres ce que signifiait ce sabbat fort sérieux, et pourquoi on nous y avait conviés sous prétexte de bal. L’un de nous habite pourtant Alger depuis longtemps. Je vais tâcher de me renseigner demain.

20 juin. — Autre aventure plus importante, qu’une lettre plus détaillée partie aujourd’hui va te porter à Nohant, mais que je résume ici pour ne pas faire de lacune dans mon journal.

Le prince est arrivé. Je me mets en quête du colonel Ferri-Pisani et du docteur Yvan. Ils sont à bord du Jérôme-Napoléon. J’y cours. Ferri tombe des nues en me voyant, et me demande si je pars avec eux pour Lisbonne en passant par Oran. — Vraiment je n’en sais rien ; mais je ne demande pas mieux ! — Alors revenez ce soir à neuf heures. — Je le quitte. Je cherche dans le port le capitaine Talma, que je ne savais pas ici. Je crois reconnaître son bâtiment, j’y monte ; c’est le Finistère, l’Aube est partie depuis deux heures. Déception. — Je reviens dîner à Alger avec des amis de Paris que j’y rencontre par hasard. À neuf heures, je retourne à bord du Jérôme-Napoléon. Je demande au prince si réellement il veut bien m’emmener. — Oui, allez faire vos paquets. On s’embarque après demain.

J’ai de la chance, n’est-ce pas ?

Voilà le simoun, la lune est voilée par un rideau de sable. Le désert nous jette son souffle de feu à la figure, les yeux brûlent, on a soif ; hommes de toute couleur et de toute origine paraissent accablés.

21 juin. — Le simoun tombe un peu, mais on est encore en plein air dans une étuve chauffée à trente-sept degrés. Emplettes et visites. Adieux affectueux à la famille Kadidjah. Ce sont d’excellentes femmes que ces Mauresques douces et sans art.

22 juin. — Me voilà installé à bord. Les moutons de Tunis bêlent sur le pont. Charlot, jeune lion de quatre mois, grogne dans un coin. Deux petites panthères se promènent en miaulant comme de vrais chats.

Maurice Sand.