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de quelques histers ; des bubas bubalus, des glaphiries maurus et Lasserii, des hymenoplies strigosa par centaines, beaucoup de clérons, des trichodes umbellatarum et sipylus en compagnie des clytres paradoxa et sexmacula. Parmi les mylabres, marocana oleœ, maculala et bifasciata, je crois qu’il n’y a pas deux individus semblables. On a divisé le genre en beaucoup d’espèces ; mais on pourrait bien y voir autant d’espèces que d’individus. Parmi les buprestes, j’ai trouvé mauritanica, onopordi, œnca, tenebricosa, volant dans les herbages, les lentisques et les genêts ; en revenant, quelques charançons et brachycères dans la poussière du chemin ; dans le sable, des scarites striatus et pyracmon bien plus gros que ceux des Sablettes de Toulon.

Le temps a été voilé jusqu’à midi ; alors le soleil a pointé raide. Visite à la maison dont je suis le sidi. J’ai trouvé Zohrah occupée à enluminer sa mère au pinceau. Elle lui avait fait une paire de sourcils formidables qui lui coupaient la figure en deux. C’est au point que je ne pouvais la reconnaître à première vue. La vieille dame était triomphante. Zohrah s’était elle-même moucheté tout le visage de petits croissans, de petites pleines lunes, d’étoiles ; elle avait tout le firmament sur le visage. Je n’ai pu m’empêcher de rire. La mère et la fille, qui sont de bonnes personnes, en ont fait autant ; mais la petite, qu’on avait laissée à sa beauté naturelle et qui en était furieuse, boudait et grondait dans un coin comme une panthère. Ces dames avaient passé leur journée au bain, s’étaient fait raser la moitié du crâne et tellement frotter qu’elles en avaient la peau des bras et des jambes usée. Le muezzin s’est fait entendre : chacune a couru à sa fenêtre réciter sa prière et demander à Allah du bonheur et de la santé, et probablement un paradis où elles seraient naturellement tatouées.

De la terrasse de leur maison, on découvre la moitié de la ville, la mer et le fond du golfe jusqu’à l’Atlas. Les maisons mauresques sont intérieurement évidées de haut en bas comme des puits. D’où j’étais, je plongeais jusqu’au fond de quelques-unes, et je voyais, dans son cloître entouré de colonnettes, un vieux musulman endormi sur une peau de lion. Dormir sur la dépouille du lion éloigne les méchans esprits. Je le voyais si bien que je le reconnus. C’est un homme très riche. Toute sa fortune est enfermée dans un coffre. Il n’a d’autre propriété immobilière que sa maison. Pour sa dépense de chaque jour, il puise au trésor d’où ses fonds endormis s’écoulent lentement goutte à goutte depuis soixante ans. Quand il aura fini de ronfler sur sa peau de lion, il ira s’asseoir dans une petite niche qui donne sur la rue, et là, seul, muet, oisif, fumant du tekrouri (c’est-à-dire du haschich), il attendra l’heure de la prière.