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cailleux surplombant comme le fort, mais à distance ; de longues collines vertes doucement ondulées ; dans les lointains, des maisons blanches à crever les yeux. C’est bien ainsi que se représentent l’Afrique ceux qui ne l’ont vue qu’en peinture, et c’est ainsi que je l’imaginais ; mais sa belle végétation dans les parties mouillées, c’est ce que je ne me figurais pas, et ce dont rien ne peut donner l’idée.

Sur le chemin, aloès de quatre à cinq mètres de haut poussant leurs grandes hampes encore en bouton. Ces hampes ne poussent pas ici dans une nuit, comme on le prétend en Provence ; il leur faut au moins de douze à quinze jours. Sur ces aloès tout festonnés d’aristoloches en fleur, j’ai trouvé de bien jolies chenilles de thaïs grises, à tubercules d’un beau rouge carmin ; elles paraissent nombreuses dans cette localité. Puis j’ai contemplé en naturaliste l’immobilité prodigieuse de trois Arabes qui gardaient un troupeau, couchés à plat ventre sur les rochers. Les rochers n’étaient pas plus fixes, et il fallait bien regarder pour voir où commençait l’homme et où finissait la pierre. Enfin c’est leur manière de garder les vaches : soit, au moins sont-ils censés faire là quelque chose ; mais, en revenant de ma promenade, j’en ai retrouvé un qui ne gardait rien et que j’avais vu là trois heures auparavant, loin de toute habitation, vautré sur une roche très élevée au bord d’un ruisseau. Il était dans la même attitude et ne vivait que par ses yeux fixés sur moi. Il suivait tous mes mouvemens. Les mœurs humaines sont aussi mystérieuses quelquefois que celles des animaux sauvages.

Je suivais le chemin de Sidi-Ferruch, mais j’avais encore quinze kilomètres à faire ; je me suis contenté d’en rapporter une vingtaine dans mes jambes par un temps très lourd. Les nuages rampaient à mi-côte des collines du Sahel. Je suis las et me prive ce soir de musique et de théâtre.

24 mai. — Promenade avec M. Heim, qui mord à l’entomologie. C’est un Prussien très distingué avec qui je me suis lié sur le Louqsor. Je lui dois de la reconnaissance, car il m’a aimé à première vue, pour moi-même. Ce matin seulement, il s’est avisé de me demander si j’étais ton parent, et en apprenant que j’étais ton fils, il a laissé tomber sa pipe en poussant une exclamation qui a bien duré trois minutes. Je le mène du côté des sables d’Hussein-Dey, qui me donnent une envie du diable d’aller voir les grands déserts. Nous trouvons en fait d’insectes beaucoup d’ateuchus variolosus, semi-punctatus et sacer (le bousier sacré des Égyptiens), plusieurs sauterelles vertes à long nez (la truxale nasuta), quelques carabes, des longicornes, des charançons et bien d’autres coléoptères ; deux petits serpens myopes, de vingt centimètres de long, au ventre jaune, le