Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent d’une étoile bleue ou d’un large point noir. Les ongles des pieds et des mains sont peints aussi en noir ou en rouge. Les bas sont généralement portés par les femmes équivoques. Pourtant la mode commence à combattre le préjugé, et quelques élégantes de bonnes mœurs portent des chaussettes de soie ou de coton bleues, blanches, rouges ou rayées, de véritables chaussettes d’homme. J’en ai remarqué une qui s’était donné le luxe d’une ombrelle, mais elle la portait soigneusement enveloppée de papier. À notre approche, plusieurs de ces merveilleuses ont caché leur visage pour un instant dans un pli de leur haïk. Autour d’elles jouaient des petites filles déjà splendides de regard et de cambrure, puis des marmots énormes dormaient sur les genoux de monstrueuses nourrices noires.

Il y avait là des échantillons des diverses races que l’on voit en Algérie : des Kabyles (Kebaïles), qui habitent les montagnes autour du Jurjura et parlent une langue particulière ; leur type diffère de l’Arabe, ils sont plus blancs et souvent blonds ; des Maures, descendant des anciens Mahgrébins et mélangés de diverses races, qui habitent les villes, gens paresseux et sensuels ; leurs femmes, blanches et jolies, sont toujours voilées, celles des Kabyles ne le sont jamais ; des Arabes, que nous devrions plus rationnellement appeler Berbères, aux yeux vifs, au teint olivâtre, aux pommettes fortes, aux lèvres prononcées, vivant sous la tente (les bédouins) ou sous le chaume (les fellahs), fils des sauvages conquérans qui anéantirent la civilisation des califes ; des nègres, originaires pour la plupart de Tombouctou ou du Soudan, forts, doux, toujours gais ; des Biskris, les Auvergnats de l’Afrique, grands travailleurs, infatigables portefaix, jardiniers ou facchini, comme on dit en Italie. Avares et sobres, se battant parfois entre eux comme des enragés, mais doux à l’habitude, ils ne songent qu’à amasser de l’argent pour acheter des terres dans leur pays. Enfin quelques Koulouglis, métis des Turcs avec les Arabes, gens orgueilleux de maintien et, dit-on, de caractère.

On attendait les caïds du Fondouck pour commencer la fantasia. Enfin ils arrivent au milieu de flots de poussière, enseignes déployées, musique en tête. Ils vont faire leurs dévotions au marabout, puis enfourchent leurs montures et s’assoient dans leur selle pour assister à la course. Un tambour de basque carré, rempli de pois, marque un rhythme que deux flûtes de roseau jouées de biais, à l’antique, accompagnent d’une modulation parfaitement monotone qui va durer deux heures sans respirer.

Hommes, femmes, enfans, se précipitent sous les caroubiers aux marges de la route. Un coup de feu part ; un Arabe passe au triple