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de tels pouvoirs au commandant d’un vaisseau de guerre. « Le préjudice aurait été plus grand, a-t-on dit, si le Trent avait été arrêté, détourné de sa route et retenu dans un port jusqu’après la décision d’une cour de justice compétente. » Ce n’est pas là un argument sérieux. Dès que l’honneur est intéressé, l’offense ne se mesure pas à l’étendue du dommage, et d’ailleurs, en forçant tant soit peu le principe, on arriverait aisément à établir que les agens de la force publique peuvent partout dispenser du recours aux tribunaux, et que les prévenus gagneront à n’avoir pas à souffrir des lenteurs de la justice. Toute la question se réduit là, et, ramenée à ces termes, les seuls véritables, elle n’avait que faire, pour être résolue, de l’érudition sous laquelle on l’étouffait en la dénaturant.

Le gouvernement fédéral n’a pas voulu démentir les glorieuses traditions de son pays ; il s’honore par cette résolution, il répond victorieusement à ceux qui le soupçonnaient d’être trop dominé par les passions populaires pour pouvoir écouter la voix de la sagesse et de la modération. En cédant aux réclamations du cabinet britannique, il fait plus pour la cause de la liberté des mers que s’il avait arraché par les armes à l’Angleterre la reconnaissance de droits qu’elle aurait violés. L’Angleterre est trop engagée par son succès pour pouvoir désormais renier les principes qu’elle s’est déclarée prête à soutenir de tout l’effort de sa puissance. La mise en liberté de MM. Mason et Sliddel est, pour les progrès du droit maritime, un triomphe plus grand, une consécration plus éclatante que ne l’ont été les déclarations du traité de Paris.

Il est peut-être à regretter qu’on ait attendu les réclamations de l’Angleterre, et qu’on ne se soit pas empressé, dès l’arrivée du San-Jacinto, de mettre en liberté les commissaires du sud. Le bruit qui s’est fait autour de l’incident aurait été fort affaibli. Une longue attente et les incertitudes que cette attente a fait naître ont soulevé dans la presse anglaise et américaine une polémique dont peut souffrir l’avenir des bons rapports entre les deux pays. La satisfaction. générale avec laquelle est accueillie la solution pacifique de cette affaire ne doit donc pas nous fermer les yeux sur les dangers futurs. Les États-Unis ont été longtemps habitués de la part de l’Angleterre à une tolérance et à une patience très grandes ; en plus d’une occasion, ils ont impunément dirigé contre elle des agressions, ils lui ont tenu un langage dont la fierté britannique souffrait, et qu’elle n’aurait pas toléré, venant de toute autre part, Dans la situation difficile et tendue où les place la rupture avec les états du sud, les. états du nord ne doivent pas oublier combien les choses ont changé d’aspect, combien l’Angleterre a moins de raisons que par le passé de craindre une guerre qui pouvait la priver du coton. Si, sans qu’elle