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tout se réunit pour garantir les belligérans et les neutres contre les sérieuses difficultés qui les menaçaient. Lorsque la paix se fit, le congrès de Paris termina ses travaux par une déclaration des principes que les puissances signataires du traité de 1856 adoptaient pour base définitive du futur droit maritime. Tous les états de l’Europe furent invités à donner leur adhésion, et tous adhérèrent. La même invitation fut adressée aux États-Unis d’Amérique, qui refusèrent leur acquiescement ; on dira plus loin pourquoi et comment.

Aujourd’hui c’est précisément aux États-Unis que la guerre s’est allumée, non pas entre deux pays et deux gouvernemens séparés, mais entre les parties d’un tout plus ou moins homogène, circonstance qui complique singulièrement la situation et ouvre un vaste champ d’inépuisables controverses. Il ne faut pas toutefois se faire trop d’illusion ; en quelque lieu et de quelque part qu’une guerre fût venue mettre à l’épreuve l’effet des déclarations du congrès de Paris, il serait puéril de croire que l’œuvre de ce congrès fût de nature à rester également respectée de tous, offrant pour la première fois dans l’histoire du monde l’exemple d’un code définitif des nations universellement accepté et observé. Les déclarations étaient trop vagues, trop générales, trop incomplètes, pour permettre d’espérer un pareil accord. L’énonciation solennelle de quelques principes abstraits ne peut suffire pour garantir l’uniformité d’interprétation et de pratique dans une matière aussi ardue.

Ce n’est pas en effet d’un droit primitif et naturel, de ce qui constitue le droit des gens proprement dit, qu’il s’agit ici. Les relations internationales échappent presque toujours aux prescriptions positives de lois générales et reconnues par tous comme obligatoires ; ces relations sont régies par un droit secondaire, ou droit conventionnel. Ce droit, dérivé du droit des gens, dont il doit toujours tendre à se rapprocher, se modifie avec le temps, par les usages et par les traités. Les mêmes nations n’ont pas toujours adopté les mêmes principes et suivi les mêmes règles. La justice a souvent été étouffée sous la loi du plus fort ; le fait a dominé le droit. Des précédens historiques peuvent donc être invoqués à l’appui de toutes les prétentions, de toutes les agressions, de toutes les violences. Les forts ont presque toujours pris leurs passions et leurs intérêts du moment pour règle unique de leurs relations avec les faibles. Le droit conventionnel, assis sur la tradition, sur des traités variables et contradictoires, soumis à des interprétations diverses, n’est, à vrai dire, que la jurisprudence des nations[1]. Des

  1. Puffendorf, qui n’a parlé nulle part de la neutralité dans son traité du droit de la nature et des gens, écrivait en 1692 une lettre curieuse dont il est bon de citer quelques lignes. « La question, disait-il, est certainement du nombre de celles qui n’ont pas encore été établies sur des fondemens clairs et indubitables qui puissent faire règle pour tout le monde. Dans tous les exemples qu’on allègue, il y a presque toujours quelque chose de droit et quelque chose de fait. Chacun d’ordinaire permet ou défend le commerce des peuples neutres avec ses ennemis selon qu’il lui importe d’entretenir amitié avec ces peuples ou qu’il se sent de force pour obtenir d’eux ce qu’il souhaite. » Puffendorf écrivait ces lignes à la fin du XVIIe siècle, et les événemens du XIXe prouvent encore la justesse de ses prévisions.