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manière ; il est amoureux de ses formes divines, et s’il doit un jour mourir, il veut que « son sang coule sur des diamans avant d’arriver à l’Érèbe. » Il a fait préparer une grande cour pour s’y précipiter de son palais au moment du danger suprême.

On comprend maintenant les calculs que peut fonder Iridion sur une telle âme, dès qu’elle sera secouée, torturée par un bras vigoureux comme le marteau de Thor, souple comme le serpent, blanc comme le lis, — et Elsinoé sait bien son rôle. Devant cet enfant exténué de l’Asie, elle se retrouve la vierge forte qu’a portée le sein de Grimhilde, la valkirie Scandinave, aux regards superbes et aux suprêmes dédains. Que lui parle-t-il, le césar, de ses divinités de la lumière, et du génie de la nuit, et de ses sacrifices admirés par les premiers pontifes de l’Orient ? La fille des glaces et des neiges méprise les dieux efféminés qui se noient dans les fumées de l’encens, bercés par le son des flûtes et arrosés du sang des biches et des enfans nouvellement nés ! Il est bien autre, son dieu à elle, le dieu de sa mère, l’Odin fait de chêne et d’acier, qui, tranquille sous les pluies, le givre et les vents, tient dans sa main une coupe fumante du sang des héros, et regarde les mers du Nord se brisant à ses pieds ! Que lui parle-t-il de partager ses magnificences, sa grandeur et sa puissance infinie ? On sait bien comment finissent les césars : le premier centurion venu peut d’un moment à l’autre enfoncer sa dague dans le cou de cygne du fils de Caracalla et jeter aux orties cette majesté divine ! Son plus proche parent, Alexandre Severus, ne conspire-t-il pas déjà contre lui dans son propre palais, et les cohortes ne se sont-elles pas ameutées aux portes mêmes de la capitale ? Avant de prétendre faire palpiter dans ses bras le corps chaste d’une vierge d’Odin, qu’il essaie de ne pas trembler devant le dernier de ses eunuques et de ses prétoriens ; elle n’a pas de nuit de bonheur pour celui qui n’a pas de lendemain ! Héliogabale écume de désir, de dépit, de rage et de peur, — de peur surtout. Oui, c’est vrai, il est entouré de pièges et d’embûches ; il sera écrasé, et il n’est donné à personne de le sauver… — Si, répond la valkirie : dans sa pitié pour le maître misérable du monde, elle a prié ses dieux tout-puissans, et ces dieux lui ont révélé celui qui pourra assurer pour jamais le trône du césar : mais elle ne le nommera pas, à quoi bon ? L’empereur n’aura pas le courage de faire appel à l’homme de la destinée ; il craindra ses eunuques ! — Elle se laisse pourtant arracher à la fin le nom du sauveur : c’est le fils d’Amphiloque, c’est son frère. Héliogabale fait mander Iridion.

Le palais des césars s’ouvre donc devant le descendant de Philopœmen, et ce n’est pas en grœculus qu’il y entre, ainsi que l’avaient fait tant de ses frères, en poète timide, en rhéteur rampant