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manufactures de la généralité, que ce bureau, composé des membres de la commission intermédiaire, de deux membres de la chambre de commerce et de deux fabricans, s’occuperait particulièrement de tout ce qui pourrait ranimer l’industrie, soutenir les fabriques et maintenir l’activité commerciale, « de manière que ce témoignage public de la vigilance de l’assemblée sur les sources de la richesse de la province servît à y faire éclore, comme dans les pays où le patriotisme est développé dans toute son énergie, des efforts que la faveur du roi et les applaudissemens de la nation ne manqueraient pas de multiplier. » Un secours de 300,000 livres était demandé au roi pour cette année seulement, afin de parer au plus pressé, et l’emploi de ce fonds, joint à ceux qu’on attendait des souscriptions volontaires, devait être rendu public.

Cet admirable élan aurait certainement fait des miracles ; la guerre, qui éclata quelques années après entre la France et l’Angleterre, le rendit inutile. Rien de ce qui avait été projeté ne fut exécuté, et quand la paix de 1815 ramena des temps meilleurs, un tout autre régime que celui de la libre concurrence fut préféré. Depuis 1815, la Normandie a fait de grands progrès industriels et commerciaux ; mais qu’on songe à ce qui serait arrivé, si l’essor donné en 1787 avait pu se soutenir ! Les deux nations auraient marché du même pas dans la carrière des inventions modernes, soutenues par une émulation perpétuelle, par un échange constant de produits et de procédés, et l’Angleterre n’aurait pas conservé l’avance qu’elle peut avoir encore : nous l’aurions suivie pas à pas et peut-être précédée.

Un des principaux objets de l’inquiétude générale était l’Ecosse, qui commençait à naître à la vie industrielle. « Nous pourrions, disait-on, soutenir la concurrence des toiles d’Irlande, qui surpassent les nôtres en blancheur et qui leur cèdent en qualité ; mais les habitans du nord de l’Ecosse ont été encouragés à de grandes entreprises de culture et de tissure de lin, et l’industrie de notre province doit redouter celle de ce peuple nouveau, qui ne se nourrit que de pommes de terre ou d’avoine délayée dans l’eau, et dont la main-d’œuvre est au plus bas prix. » C’est toujours, comme on voit, la même contradiction : on craint la concurrence des pays riches, parce qu’ils ont plus de capitaux ; on craint la concurrence des pays pauvres, parce qu’ils ont la main-d’œuvre à meilleur marché, et on ne songe pas qu’on est nécessairement soi-même dans l’une ou dans l’autre de ces deux situations. L’Ecosse n’a pas eu les mêmes craintes, et elle s’en est bien trouvée ; pauvre et barbare il y a cent ans, elle s’est élevée rapidement à la plus grande richesse agricole, manufacturière et commerciale, et elle a dû ces merveilleux