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homme entre mes bras et de le serrer contre ma poitrine. Nous fûmes bientôt arrivés à la maison qu’avait habitée Geneviève ; la pauvre fille était morte depuis huit jours ; nous entrâmes chez la voisine qui avait recueilli le petit garçon. C’était une femme veuve et âgée, qui gagnait pauvrement sa vie en faisant des ménages dans le quartier ; elle nous raconta les dernières heures de Geneviève. — C’était bien triste à voir, nous dit-elle ; elle s’éteignait, elle s’éteignait sans trop souffrir, mais si visiblement que ça retournait le cœur de la regarder. Elle attendait toujours un monsieur qui devait venir et qu’elle nommait Richard ; elle avait eu une singulière fantaisie, c’était d’avoir un portrait de la Madeleine ; elle priait en le regardant, et elle disait que ça lui faisait du bien. Elle s’en est allée, la pauvre jeunesse, sans trop s’en apercevoir, on eût dit qu’elle dormait ; mais le petit s’est mis à pleurer en disant que sa maman avait froid. Alors j’ai compris que le bon Dieu l’avait rappelée ; il y a de cela huit jours. Tous les locataires de la maison l’ont suivie jusqu’au cimetière, parce qu’elle était bonne, très douce, et qu’ici chacun l’aimait. Moi, j’ai pris l’enfant, et je le garderai tant que ça se pourra ; ’ on dit que son père est riche : il me semble qu’il devrait bien s’en charger.

Richard attira l’enfant vers lui : — Veux-tu venir avec moi ? lui dit-il.

— Je veux aller avec maman, répondit le petit garçon.

Richard se jeta contre la muraille en sanglotant.

J’appris à la bonne femme qui nous étions, et j’ajoutai que Richard venait chercher l’enfant, dont il consentait à se charger. — Que Dieu vous bénisse, mon cher monsieur ! répondit-elle ; le petit sera mieux chez votre ami que chez moi ; c’est égal, ça me fait un singulier effet de quitter cet enfant. Quand sa mère était trop souffrante, il venait jouer dans ma chambre ; depuis qu’elle est morte, je l’ai toujours eu avec moi, pendu à mes jupes ; je m’y suis attachée, et ça me chagrine de le voir partir.

Richard se retourna vers elle. — Voulez-vous entrer à mon service ? lui dit-il ; je vous donnerai de bons gages, et vous soignerez l’enfant ; moi, je ne m’entends guère à cela, et il est encore bien jeune pour que je puisse lui être vraiment utile. Plus tard, je me charge de le diriger et de le mettre en bon chemin.

La vieille femme accepta avec joie, et il fut convenu que le jour même elle viendrait avec l’enfant s’établir à l’atelier. — Vous connaissez un notaire ? me dit Richard. — Oui, pourquoi ? — Comment ! pourquoi ? répliqua-t-il, mais pour aller reconnaître cet enfant ; je lui servirai de père, puisque le sien est inconnu, ajouta-t-il avec un sourire de colère et de mépris ; ce sera autant d’économie pour MM. Castas père et fils. Le nom de Piednoël est un nom comme un