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ni pour Aristote. La Bible enseigne par des images et des paraboles, à adorer Dieu et à aimer son prochain. Quiconque pratique la justice et la charité est orthodoxe autant qu’il faut.

Nous voilà bien loin du XIIe siècle et de Maïmonide. Et cependant, quoi qu’en dise Spinoza, la méthode du maître et celle du disciple ne sont pas si différentes qu’on pourrait le croire. Maïmonide, qui est un Juif croyant et, qui plus est, un sage, Maïmonide qui ne veut qu’épurer la Bible de tout anthropomorphisme et de toute superstition, distingue dans le livre saint ce qui est conforme et ce qui n’est pas conforme à la raison. Il incline à voir dans le prophétisme un fait naturel, mais il a soin d’excepter Moïse de sa théorie. Moïse a perçu les révélations divines non par l’imagination, mais par la raison ; Moïse a communiqué avec Dieu, non par l’intermédiaire d’un ange, mais d’une façon directe et immédiate ; Moïse était éveillé, calme et de sens rassis quand il prophétisait[1]. De même, s’il faut effacer de l’Écriture bien des miracles, il y en a qui ne peuvent être niés, comme par exemple l’apparition de Dieu sur le mont Sinaï. Nier un tel miracle, c’est nier la Bible, c’est renverser la loi par le fondement.

Tel est le juste milieu où espère se tenir le prudent Maïmonide ; mais Spinoza se pique peu de sagesse, il se pique seulement de conséquence. Pour lui, le miracle étant une dérogation aux lois nécessaires de la nature, il n’y a pas de vrais et de faux miracles, il n’y en a pas du tout. L’inspiration prophétique étant un don naturel, une affaire d’imagination, il ne faut point distinguer entre les vrais et les faux prophètes. Au sens surnaturel du mot, il n’y a pas de prophète ; celui qu’on appelle ainsi n’est qu’un homme enthousiaste qui prend les visions de son esprit pour une parole miraculeusement venue d’en haut : point d’exception, ni pour Moïse, ni pour aucun autre ; mais je me trompe peut-être, et je prête ici à Spinoza plus de conséquence qu’il n’en a, car dans le Theologico-politicus il fait exception, non plus pour Moïse, mais, ce qui est bien curieux chez un Juif et chez un disciple de Maïmonide, pour Jésus-Christ. « Jésus-Christ, dit-il, n’est pas un prophète comme un autre. Les autres prophètes n’atteignaient les choses divines que par des intermédiaires et à l’aide de l’imagination ; Jésus-Christ les connaissait sans paroles et sans images[2]. On peut dire que Jésus-Christ, c’est la sagesse de Dieu qui s’est revêtue de notre nature dans la personne de Jésus-Christ[3]. »

Voilà Spinoza chrétien ou peu s’en faut ; il fait en faveur du Christ

  1. Le Guide des Égarés, partie III, P. 277 et suiv.
  2. Traité théologico-politique, p. 81 du tome II.
  3. Ibid., p. 23.