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le continuateur de Maïmonide, de Moïse de Narbonne et de Lévi ben-Gerson ; l’auteur de l’Ethica est avant tout le disciple de Descartes.

Mais ce n’est là qu’une solution très générale du problème ; il faut entrer dans les complications et les délicatesses du sujet. Je commencerai par remarquer qu’il n’était point fort difficile de s’apercevoir que Spinoza a beaucoup fréquenté Maïmonide, et en général qu’il était très versé dans la littérature hébraïque. Pour le savoir, il n’était pas nécessaire que M. Munk nous eût traduit le Moré Neboukhim. En effet, Spinoza, dans son Theologico-politicus, cite Maïmonide non pas une fois, mais vingt fois[1], non pas d’une manière vague, mais en indiquant avec précision tel ou tel passage. Il cite aussi d’autres rabbins, Aben Hezra, R. Judas Alpakhar, R. Lévi ben-Gerson, R. Abraham, ben-David et d’autres encore. L’ouvrage tout entier nous montre Spinoza fort au courant des questions agitées dans les synagogues. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir la biographie si sincère, si naïve, si empreinte d’un cachet de véracité, que nous a laissée de Spinoza un de ses compatriotes et contemporains, l’honnête et exact Colerus, pour savoir que les premières études de Spinoza eurent pour objet l’hébreu et la Bible[2]. Dirigé par Moses Morteira, le rabbin le plus instruit de la synagogue d’Amsterdam, Spinoza lut et relut le Talmud, comme nous l’apprend un autre biographe de Spinoza, le médecin Lucas[3]. Nul doute qu’à cette époque Spinoza n’ait connu les commentateurs juifs de la Bible, ceux du Talmud et de la Mischna, très certainement Maïmonide et Lévi ben-Gerson[4], très probablement Moïse de Narbonne, et peut-être aussi, comme le conjecture assez hardiment M. Franck[5], Isaac Al-Balag, non moins célèbre chez les Juifs que Moïse de Narbonne et Lévi ben-Gerson, mais dont il n’y a aucune trace dans les écrits de Spinoza.

C’est de ces premières études, mûries par une réflexion originale et profonde, c’est de ce commerce avec les libres penseurs d’Israël qu’est sorti le Theologico-politicus. Spinoza n’y citerait-il pas Maïmonide, que ses vues sur la prophétie et sur les prophètes et sa théorie du miracle rappelleraient d’une manière sensible le Guide des Égarés. Comme Maïmonide, Spinoza soutient que ce qui caractérise

  1. Voyez la traduction française de Spinoza, nouvelle édition de 1801, t. II, p. 147, 148,149, 150, 210, 245, 341, etc.
  2. Tome II, p. 4 de la traduction de Spinoza.
  3. Ibid., p. 42.
  4. Spinoza pourtant n’a cita Levi ben-Gerson qu’une seule fois, dans une de ses notes marginales du Theologico-politicus.
  5. Séance de l’Académie des Sciences morales, mai 1861.