caché en Hollande, ou bien si le panthéisme a des racines plus profondes et s’il tient aux entrailles mêmes de la philosophie de Descartes. Ainsi envisagée, la question des origines de Spinoza se rattache étroitement aux problèmes de notre temps et à toutes nos agitations philosophiques et religieuses.
Pour ne pas s’égarer dans cette question très compliquée et très délicate, il importe avant tout de considérer qu’il y a deux parties distinctes dans l’œuvre de Spinoza : d’un côté l’exégèse biblique, de l’autre la philosophie proprement dite, c’est-à-dire la métaphysique avec toutes ses applications à la psychologie, à la morale, à la religion. Spinoza nous développe son système d’exégèse dans un traité qui a fait en Europe, au XVIIe siècle, un scandale immense, le Tractatus theologico-politicus ; c’est dans d’autres ouvrages publiés après sa mort, c’est surtout dans l’obscure et fameuse Ethica que Spinoza a déroulé, selon l’ordre des géomètres, la suite de ses spéculations proprement philosophiques. En distinguant ces deux parties de l’œuvre de Spinoza, je ne dis pas qu’il faille les séparer, je ne dis-pas qu’elles soient sans lien, car tout s’enchaînait dans cette tête géométrique ; je dis seulement qu’on doit prendre garde de les confondre. Deux systèmes philosophiques profondément différens peuvent aboutir sur un point particulier, même capital, aux mêmes conséquences. Ainsi on peut fort bien admettre l’exégèse rationaliste de Spinoza sans être obligé d’accepter sa métaphysique. Voltaire et Jean-Jacques Rousseau tombent d’accord avec l’auteur du Theologico-politicus sur les prophéties et les miracles de l’Ancien et du Nouveau Testament ; mais ils repoussent, et c’est leur droit, le panthéisme de l’Ethica. Tant que Spinoza frappe sur Moïse, sur Ézéchiel et même sur saint Jean et sur saint Paul, Voltaire applaudit ; mais quand Spinoza, passant de l’étude des livres saints à celle de la nature, refuse de voir dans l’univers les traces d’un conseil divin et d’une volonté intelligente, Voltaire se récrie, et, apostrophant Spinoza avec sa vivacité éloquente et familière, il lui crie : Tu te trompes, Baruch[1] !
Il n’y a point là d’inconséquence. Or, si l’on veut bien consentir à examiner tour à tour sans les confondre l’œuvre exégétique de Spinoza et son œuvre métaphysique, on ne tardera pas à reconnaître qu’autant Spinoza se rapproche de Maïmonide et en général des philosophes juifs dans sa manière d’entendre la Bible, autant il s’en éloigne quand il aborde d’autres problèmes et raisonne, indépendamment de toute tradition historique, sur Dieu, la nature et l’humanité. L’auteur du Theologico-politicus est à beaucoup d’égards
- ↑ Dictionnaire philosophique, art. Causes finales et ailleurs.