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Maïmonide résume tout ce système d’exégèse par ces fortes paroles qu’il adresse à son disciple bien-aimé : « Sépare et distingue les choses par ton intelligence, et tu comprendras ce qui a été dit par allégorie, ce qui a été dit par métaphore, ce qui a été dit par hyperbole et ce qui a été dit selon ce qu’indique l’acception primitive des termes. Et alors toutes les prophéties te deviendront claires et évidentes ; tu auras des croyances raisonnables, bien ordonnées et agréables à Dieu, car la vérité seule est agréable à Dieu, et le mensonge seul lui est odieux[1]. »


II

Nous voilà maintenant en mesure de résoudre la question indiquée plus haut, et sur laquelle se divisent en France et en Allemagne les historiens et les critiques les plus compétens. Le panthéisme de Spinoza a-t-il son origine dans l’antique tradition des philosophes juifs ou dans la nouvelle philosophie inaugurée par la France au XVIIe siècle ? Quel est le véritable maître de Spinoza ? Est-ce Maïmonide, comme l’affirme aujourd’hui M. Cousin[2], ou bien est-ce Descartes, comme M. Cousin l’avait cru et enseigné jusqu’à ce moment[3], et comme continue de le croire M. Damiron[4]), et avec lui M. Ritter[5], M. Francisque Bouillier, le savant et judicieux auteur de l’Histoire de la Philosophie cartésienne[6], et plusieurs autres juges autorisés ?

La question est grave, Outre l’intérêt historique, elle en a un autre d’un genre plus sérieux, car il s’agit de savoir au fond si le panthéisme moderne, que Spinoza le premier a organisé avec puissance, que Fichte, Schelling et Hegel ont depuis renouvelé, chacun sous la forme de sa race et de son génie, il s’agit de savoir si le panthéisme moderne est un simple accident, un phénomène local, individuel, explicable par l’éducation qu’a reçue un Juif portugais

  1. Le Guide des Égarés, chap. 47 de la partie IIe.
  2. Voyez le Compte-rendu des travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques, séances d’avril et mai 1861, et la dernière édition de l’Histoire générale de la philosophie, p. 457 et suiv. 1861, chez Didier.
  3. Voyez Fragmens de Philosophie cartésienne, p. 428 et suiv.
  4. Voyez les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences morales et politiques, avril et mai 1801, p. 283 et suiv. On trouvera le sentiment de M. Dumiron amplement développé dans un savant et ingénieux Mémoire sur Spinoza qui fait partie de son Histoire de la Philosophie au dix-septième siècle.
  5. Voyez la traduction française, récemment publiée par M. Challemel-Lacour, de la partie moderne du grand ouvrage de Ritter, 3 vol. in-8o, chez Ladrange.
  6. Consultez la dernière édition, 2 vol. in-8o, chez Durand. L’auteur, en refondant et complétant son premier écrit, en a fait un des plus solides et des meilleurs ouvrages historiques qui aient paru depuis trente ans.