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autre conséquence du rôle prépondérant de l’imagination, c’est que les prophètes ne parlent que par allégories et paraboles : « Les montagnes et les collines éclateront de joie devant vous, et tous les arbres dès champs frapperont des mains. » (Isaïe, LV, 12.) Ici il y a évidemment métaphore. D’autres fois les simples peuvent s’y tromper » comme quand le Psalmiste dit : « Il a ouvert les battans du ciel et leur a fait pleuvoir la manne » (Psaumes, LXXVIII, 23,24), ou encore : « J’effacerai l’impie de mon livre. » (Exode, V, 83.) — « Qu’ils soient effacés du livre des vivans. » (Psaumes, LXIX, 29.) Tout cela, observe Maïmonide. est dit en manière de similitude, car le ciel n’a ni portes, ni battans, et il n’y a pas un livre où Dieu écrive ou efface le nom des hommes.

Mais voici une suite plus grave de cette force d’imagination qui caractérise essentiellement les prophètes. Tout ce qui arrive, ils le rapportent directement à Dieu. Pour eux, point de causes prochaines ; C’est la volonté divine qui fait tout. Rien de plus simple que cette préoccupation des prophètes. Qui, en effet, cherche les causes prochaines des choses et s’efforce de les expliquer soit par les lois de la nature, soit par les passions, les caprices ou les desseins des hommes ? Qui fait cela ? C’est la raison. Or l’imagination trouve ce chemin trop détourné. Frappée, éblouie par un grand phénomène, elle n’y veut voir qu’une cause, la main du Tout-Puissant. « Dieu parle, s’écrie le Psalmiste, et il fait lever un vent de tempête qui élève les vagues. » (Psaumes, CXLVIII, 18.) Voilà un phénomène naturel expliqué par la volonté divine. Ailleurs ce sera tel accident de l’histoire, une victoire, une défaite, une invasion que l’imagination du prophète rapportera immédiatement à un ordre de Dieu : « J’ai appelé mes héros pour exécuter ma colère » (Isaïe, XIII, 3), et dans Jérémie : « J’enverrai contre Babylone des barbares qui la disperseront. » (LI, 2.)

C’est avec une tranquillité parfaite que Maïmonide ramène toutes ces métaphores à leur sens raisonnable et tous ces prodiges à des faits naturels. Quelquefois même on croirait voir errer sur les lèvres de l’imperturbable docteur le sourire de l’incrédulité, comme par exemple quand il s’agit du miracle de Jonas : « Et l’Éternel, dit la Bible, parla au poisson. » (Jonas, II, 2.) Sur quoi Maïmonide fait observer que la cause prochaine qui détermina la baleine à engloutir Jonas, ce n’est pas Dieu, c’est tout simplement la faim ; « car, ajoute-t-il, la Bible ne veut pas dire que le poisson ait entendu la parole de Dieu, que Dieu ait rendu le poisson prophète et se soit révélé à lui[1].

  1. Le Guide des Égarés, tome II, p. 365.