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comme la raison est la forme spécifique de l’homme ; on comprendra que c’est en tant que raisonnable que l’homme ressemble à Dieu, d’où il suit qu’à mesure qu’il cultive mieux sa raison, il se rapproche davantage du divin modèle.

Maïmonide poursuit cette exégèse hardie et profonde sous son apparente simplicité. Il se demande ce qu’il faut entendre par ces mots de la Bible : « Dieu vit que c’était bien ; » (Genèse, I, passim.) — « Ainsi a dit l’Éternel : le ciel est mon trône. » (Isaie, LXVI, 1.) — « Et l’Éternel descendit sur le mont Sinaï. » (Exode, XIX, 20.) — « Et Dieu remonta au-dessus d’Abraham. » (Génèse, XVII, 22.) — « Maintenant je serai debout, » dit l’Éternel. (Psaumes, XII, 6.) — Peut-on croire que Dieu ait des organes matériels, des yeux, des mains, qu’il soit assis sur un trône d’où il descend et où il remonte ? Ce sont là des expressions manifestement allégoriques. Et la Bible elle-même nous prémunit contre une interprétation grossière quand elle dit : « Et par les prophètes je fais des similitudes » (Hos., XII, 11), ou encore quand elle vante la parole des sages et leurs énigmes. (Prov., I, 6), et quand elle appelle les prophètes des faiseurs d’allégories. (Ézéchiel, XXI, 5.) Les organes corporels attribués à Dieu par la Bible indiquent donc des perfections spirituelles ; les instrumens de locomotion signifient que Dieu est la vie, dont le mouvement est le symbole ; les instrumens de sensation, qu’il est la pensée, forme suprême de la sensibilité ; enfin les organes d’expression, qu’il est la parole, c’est-à-dire qu’il communique l’intelligence.

Tandis que Maïmonide semble se complaire et s’égarer dans cette exégèse un peu minutieuse, on ne tarde pas à voir se dessiner par degrés sous sa main prudente et discrète toute une théorie métaphysique, qui tantôt se découvre et tantôt se voilé, mais qui est évidemment très arrêtée d’avance dans son esprit et appuyée sur une réflexion profonde. C’est la théorie de l’indivisibilité absolue de Dieu.

Si Maïmonide se bornait à opposer aux symboles de l’imagination l’idée d’un Dieu immatériel et infini, il n’y aurait rien là de très original ; mais il a d’autres vues. Il prétend nous amener à reconnaître que Dieu est un, d’une unité absolue et indécomposable, ce qu’il exprime en déclarant que Dieu n’a point d’attributs. La portée de cette doctrine est considérable. Que Dieu soit infini et par suite indéfinissable, que sa nature immense ne puisse être resserrée dans les limites d’une détermination précisé, que toute énumération de ses attributs reste infiniment au-dessous de ses perfections innombrables, ce sont là des opinions très philosophiques, et dont Maïmonide fait ressortir à merveille la vérité par un récit ingénieux tiré