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du XIIIe siècle, un Albert le Grand, un saint Thomas d’Aquin, les lisent dans des traductions latines et les citent avec respect et admiration. Son nom, partout répandu, reste un glorieux symbole de la hardiesse des idées contenue par un grand esprit de modération et de sagesse.

L’auteur du Guide des Égarés, au début de son ouvrage, en explique l’objet à son cher disciple Rabbi Joseph, fils de R. Jehouda. Cet ouvrage ne s’adresse pas au commun des hommes, ni à de jeunes écoliers, ni même à ces lecteurs d’ailleurs éclairés, mais qui ne veulent savoir que l’interprétation pratique et traditionnelle de la loi ; il est fait pour des philosophes, pour ces sortes d’esprits qui aspirent à pénétrer le sens le plus élevé des traditions. Ceux-là sont souvent indécis et troublés à cause de l’opposition qu’ils rencontrent entre la lettre de l’Écriture sainte et les données de la raison. Faut-il prendre au sens littéral la parole des prophètes ? faut-il n’y voir que des symboles et des allégories ? On ne sait, on hésite, et l’esprit reste en suspens, douloureusement agité. Maïmonide se propose de tirer ces douteurs de leur indécision et de leur perplexité ; c’est pourquoi il intitule son livre le Guide des Égarés, ou, pour traduire plus exactement le texte[1], le Guide des Indécis, dux perplexorum, comme dit l’ancienne version latine de 1520.

Voilà un grand dessein. Maïmonide en mesure la hauteur et les périls avec un sentiment profond d’inquiétude. Aussi se garde-t-il bien d’étaler aux yeux la méthode nouvelle dont il est en possession. Cette méthode en effet n’est pas moins que ce qu’on nomme aujourd’hui l’exégèse rationnelle, ou plus nettement le rationalisme. Le principe général de Maïmonide, c’est que la révélation ne peut être en contradiction avec la raison. Tout récit, toute parole qui heurte la raison doivent donc être ramenés par l’interprétation à un sens raisonnable : il faut y voir une hyperbole, une allégorie, une figure symbolique, et dès lors mettre à l’écart la lettre et chercher l’esprit ; mais cette raison elle-même, qui s’impose ici en maîtresse de l’interprétation et donne des règles à la foi, sera-ce la raison de l’ignorant, de l’homme frivole, du premier venu ? Non, ce sera la raison guidée par la science, soutenue par la droiture du cœur et la pureté de la vie, la raison des sages ; or parmi ces sages » Maïmonide donne un rang tout à fait à part à Aristote.

Cette prédilection veut être expliquée. Maïmonide a étudié la philosophie à l’école des Arabes. Son maître le plus vénéré, ç’a été, non pas Ibn-Rosch (Averroës), comme on l’a faussement cru jusqu’à ces derniers temps, mais Ibn-Sina (Avicenne). Or Avicenne et

  1. En arabe Datalat al Hayirin, en hébreu Moré Neboukhim.