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dynastie des Almohades, déchaîna sur les Juifs et les chrétiens d’Andalousie la plus terrible persécution. La famille de Maïmonide courba la tête sous l’orage, et pour éviter la mort ou l’exil fît profession extérieure de mahométisme. Étrange effet des violences des hommes, on put pendant dix-sept ans voir agenouillé dans les mosquées celui qui devait être le plus grand docteur de la synagogue, le flambeau d’Israël, la lumière de l’Orient et de l’Occident, un autre Moïse. Toujours en danger à Cordoue, Maïmonide chercha un asile plus sûr à Fez, où la légende a gardé souvenir de son passage, puis à Saint-Jean-d’Acre, puis enfin, après un pieux et périlleux pèlerinage à Jérusalem, il s’établit en Égypte, au vieux Caire. C’est là qu’après trente ans de persécutions et de vicissitudes il devait trouver le repos, et par surcroît la fortune, les honneurs et la gloire. Le sultan Saladin venait de renverser le khalifat des Fatimites et d’étendre sur l’Égypte une domination généreuse. Maïmonide lui fut désigné par la grande réputation qu’il s’était faite en quelques années comme théologien, philosophe et médecin. Sur l’indication du kadhi Al-Fâdhel, il fut choisi pour médecin du sultan et devint un personnage en crédit. On peut voir dans les lettres mêmes de Maïmonide combien son existence fut alors brillante et occupée. « Je te le dirai franchement, écrit-il à Samuel Ibn-Tibbon, qui se disposait à lui faire visite pour jouir de ses entretiens et se préparer à traduire ses écrits de l’arabe en hébreu, je ne te conseille pas de t’exposer à cause de moi aux périls de ce voyage, car tout ce que tu pourras obtenir, ce sera de me voir ; mais quant à en retirer quelque profit pour les sciences ou les arts, ou avoir avec moi ne fût-ce qu’une heure de conversation particulière, soit dans le jour, soit dans la nuit, ne l’espère pas. Le nombre de mes occupations est immense, comme tu vas le comprendre… Tous les jours, de grand matin, je me rends au Caire, et lorsqu’il n’y a rien qui m’y retienne, j’en pars à midi pour regagner ma demeure. Rentré chez moi, mourant de faim, je trouve toutes mes antichambres remplies de musulmans et d’Israélites, de personnages distingués et de gens vulgaires, de juges et de collecteurs d’impôts, d’amis et d’ennemis qui attendent avidement l’instant de mon retour. À peine suis-je descendu de cheval et ai-je pris le temps de me laver les mains, selon mon habitude, que je vais saluer avec empressement tous mes hôtes et les prier de prendre patience jusqu’après mon dîner. Cela ne manque pas un jour. Mon repas terminé, je commence à leur donner mes soins et à leur prescrire des remèdes. Il y en a que la nuit trouve encore dans ma maison. Souvent même, Dieu m’en est témoin, je suis ainsi occupé, pendant plusieurs heures très avancées dans la nuit, à écouter, à parler, à donner des conseils, à ordonner