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d’idées ? On ne peut dire encore qu’il s’y associe réellement. Immobilisé dans une religion officielle dont le tsar est le pontife, il pense peu, il reste étranger aux agitations morales. Et pourtant, depuis deux ans, paraît à Moscou un recueil religieux aux allures semi-libérales, qui ne se propose rien moins que de spiritualiser l’orthodoxie, qui a des goûts de tolérance et défend la liberté de la pensée. Les rédacteurs de ce recueil, presque tous prêtres, sont initiés à toute la littérature philosophique de l’Occident, et ils suivent d’un œil attentif les questions religieuses qui se débattent aujourd’hui en Allemagne, en Angleterre, en France, en Italie.

Au milieu de ces instincts qui se réveillent et s’agitent au sein de la société russe, rien, on le voit, ne ressemble à un parti. On ne pourrait tout au plus donner ce nom qu’à quelques tendances plus saillantes, un peu mieux définies, qui se détachent sur ce fond obscur et confus. Un certain nombre de professeurs, d’écrivains et d’employés supérieurs forment ce qu’on appelle en Russie le parti des doctrinaires libéraux. Ces hommes sont convaincus que le peuple russe est incapable de rien faire par lui-même, qu’il ne peut prendre aucune initiative, et que le gouvernement seul a la puissance réformatrice. C’est donc avant tout au gouvernement, selon eux, de se faire libéral, de mettre la main aux réformes nécessaires, dût-il se servir de la force. Ces doctrinaires, comme on les nomme, sont partisans d’une administration puissamment centralisée, énergique, mais éclairée et aux vues libérales. Il s’agit dans cet ordre d’idées de maintenir l’intégrité de l’empire, sa puissance extérieure, sa position en Europe ; seulement il faut que le régime intérieur se modifie absolument par l’abolition des privilèges et des distinctions de classes, par l’introduction de l’égalité civile, par la diffusion de la lumière dans les plus basses classes, par le développement des chemins de fer et de tous les intérêts matériels. L’idéal de ce genre de libéralisme, c’est encore après tout le système de Pierre le Grand adapté au XIXe siècle. Ce parti, pendant un certain temps, a été représenté au sein du gouvernement même par M. Milutine, un des principaux fonctionnaires du ministère de l’intérieur, dans lequel tout le monde voyait le futur ministre, et qui a été obligé de se retirer il y a quelques mois. Les doctrinaires, ces partisans de l’omnipotence de l’état, sont combattus par un petit nombre d’écrivains qui défendent les principes de l’autonomie, l’initiative individuelle et sociale, la décentralisation, et dont le Messager russe est l’organe ; mais il est surtout un dernier parti qui est leur antagoniste le plus tranché, c’est celui des slavophiles.

Les slavophiles sont les adversaires passionnés des doctrinaires libéraux. Bien loin de partager les prédilections de ces derniers