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des affaires russes. Le Messager avait une grande popularité au commencement du règne d’Alexandre II, lorsqu’on se plaisait à croire aux promesses libérales de ce gouvernement naissant, et que le mouvement des idées nouvelles ne se manifestait encore que dans les régions élevées de la société, où les tendances constitutionnelles dominaient. À mesure que les illusions d’un règne libéral ont diminué et que le mouvement, en gagnant toutes les classes, est devenu plus ardent, c’est l’autre recueil, le Contemporain, qui a grandi en influence. Il compte dix mille souscripteurs. Il représente les opinions démocratiques radicales et même socialistes ; il respire surtout la haine contre l’aristocratie et l’inégalité des classes. Le Contemporain a peu de foi dans le régime constitutionnel ; ses préférences sont pour une monarchie démocratique appuyée sur le suffrage universel. Il est évidemment plus populaire aujourd’hui que le Messager russe, il répond mieux aux instincts de la classe moyenne et de la classe inférieure. C’est au reste moins une œuvre de discussion scientifique qu’un pamphlet plein de verve ironique, traitant surtout de ce que chacun sent et comprend ; il est le principal organe de ce qu’on a, dans ces derniers temps, appelé en Russie la littérature accusatrice. C’est assurément un fait singulier que le Contemporain ait pu publier parfois, sous l’œil du gouvernement et avec l’autorisation de la censure, des articles où perçaient ouvertement les tendances socialistes. Il faudrait croire que les censeurs comprenaient mal ce qu’ils lisaient, ou que le gouvernement considère ces idées comme moins dangereuses pour lui que les tendances constitutionnelles, et effectivement en plus d’un cas la censure s’est montrée beaucoup plus sévère contre les journaux qui représentent les opinions libérales modérées que contre des écrits d’un radicalisme flagrant. Ce sont les résistances et les hésitations du gouvernement dans l’œuvre d’un progrès mesuré qui ont fait le succès du Contemporain, et par une combinaison étrange, qui dénote l’accélération du mouvement, le Messager russe, sans changer d’esprit, est devenu presque un journal conservateur ; il n’est plus en faveur que parmi les nobles et les hommes modérés.

Il n’est question ici que de la littérature nationale proprement dite, de celle qui vit à l’intérieur de la Russie et se fraie péniblement, habilement, un chemin à travers mille entraves obscures. Il y a cependant une autre littérature russe, et ce n’est pas la moins active, la moins influente, qui campe en quelque sorte à l’étranger, qui a ses foyers dispersés à Paris, à Londres, à Leipzig, et qui, loin de la tutelle ombrageuse de la censure, déchire souvent les voiles que les journaux de l’intérieur sont obligés de respecter. M. Alexandre Hertzen est le principal représentant de cette littérature. ; il y a longtemps