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de voyager à l’étranger ; ce prix fut notablement diminué. L’empereur Nicolas ne permettait pas la création d’un seul nouveau journal ; Alexandre multiplia les autorisations, et non-seulement il laissa naître de nouveaux journaux, mais encore il tempéra les rigueurs de la censure, poussées jusqu’à un degré inouï. Jamais le dernier tsar n’avait voulu entendre parler de faire grâce aux auteurs de la conspiration du 26 décembre 1825 et aux exilés de Sibérie ; le couronnement du nouvel empereur fut signalé par une amnistie qui, bien qu’entourée de restrictions, n’était pas moins un bienfait. Nicolas avait toujours refusé absolument le concours des compagnies privées dans la construction des chemins de fer ; il voyait dans ce système quelque chose de révolutionnaire : Alexandre signa la concession des chemins de fer russes à une compagnie française, et il autorisa en outre la création de diverses sociétés industrielles par actions qui répugnaient à l’instinct autocratique de son prédécesseur. Enfin une des premières préoccupations du nouveau tsar était l’émancipation des paysans, cette redoutable question dont le dernier mot n’est point dit encore assurément, quoiqu’elle ait été tranchée, il y a quelques mois, par un manifeste impérial. C’est là ce qui donnait à ce règne commençant un vernis de libéralisme qui éveillait d’abord les espérances de la nation russe et qui était fait surtout pour raviver le prestige du gouvernement du tsar aux yeux de l’Europe. Le cabinet de Pétersbourg, on s’en souvient, revendiquait hautement ce rôle de réformateur et de libéral. Ce fut surtout la politique du prince Alexandre Gortchakof, ministre des affaires étrangères du nouveau règne, si bien qu’on a cru longtemps, qu’on croit encore parfois que le gouvernement du tsar est tout entier à cette œuvre de réforme, qu’il est à la tête du progrès en Russie, que l’empereur et les hommes qui l’entourent sont même beaucoup plus libéraux que la nation russe elle-même.

Quelle est la réalité cependant, et jusqu’à quel point le gouvernement russe entrait-il pour sa part dans cette voie, où le poussait l’opinion ? Ici peut-être est le nœud de la situation actuelle de ce vaste empire. Au fond, ce fut assurément une habileté singulière et une tactique supérieure de représenter la Russie comme tout occupée de réformes intérieures et de libéralisme au lendemain d’une guerre qui l’avait épuisée plus qu’on ne le supposa jamais en Europe. La Russie sortait de cette guerre réellement à bout d’hommes et d’argent. L’armée était détruite ou désorganisée. Le pays était tellement accablé et pressuré que le gouvernement, aussitôt après le traité de Paris, se voyait obligé de suspendre d’abord pour trois ans tout recrutement, et cette suspension a été forcément prolongée jusqu’à ce jour. Financièrement la Russie était sous le poids