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recueillis au moment où ils couraient risque de se perdre pour toujours dans un monde qui devenait de moins en mois rêveur et naïf, et introduits dans le milieu de la bourgeoisie française. Admis au foyer de Perrault, choyés et caressés par lui, décemment revêtus de l’honnête et simple habit des classes moyennes de l’ancienne France, ils ont fait leur chemin dans le monde. Ils ont été adoptés à la suite du bon Perrault par toutes les classes et par tous les âges, car ce qui donne à ces contes leur rare mérite et leur confère le droit de cité dans le monde supérieur de l’art, c’est qu’ils ne s’adressent pas seulement à une classe de la société ou à un âge des la vie. Populaires ou chevaleresques par l’origine, ils sont bourgeois par le langage et la moralité. L’enfant s’amuse de ces contes et y laisse jouer son imagination qui s’essaie, le jeune homme y cherche un miroir pour ses rêveries, l’homme fait y vérifie ses expériences, le vieillard s’y souvient. Cependant, bien que ce livre s’adresse à tous les âges, nul n’aurait jamais songé à le donner en cadeau d’étrennes à d’autres personnes que des enfans ou quelques rares adolescens naïfs, s’il en reste encore. Les enfans sont maintenant si précoces ! Il vient d’obtenir cette dernière bonne fortune. Les contes de Perrault, grâce à un éditeur intelligent et hardi, sont devenus aujourd’hui un très beau livre, qu’on peut offrir en cadeau à tout le monde, et que les parens peut envier à leurs enfans. Tout est excellent dans cette nouvelle édition, papier, impression et correction typographique. L’éditeur, par un raffinement de goût, a fait imprimer ce volume eu caractères du XVIIe siècle, comme pour joindre le charme de l’archaïsme à la somptuosité moderne, et conserver à ces charmans récits le cachet de leur origine sous le magnifique accoutrement dont il les a revêtus. L’écrivain qui, sous le nom de Stahl ; s’est chargé d’introduire ces vieux contes auprès du public moderne, l’a fait dans une préface qui est en heureuse harmonie avec le genre de littérature qu’il voulait recommander. M. Gustave Doré s’est chargé des illustrations. Nous avons dit ici même, à l’occasion de l’Enfer de Danse, tout le bien que nous pension des dessins du jeune artiste, l’œuvre la plus parfaite à notre avis qui soit sortie de sa main. Il a restitué à chacun de ses héros son origine véritable et raconté par le crayon son histoire dans le style qui lui convient. Les dessins qui représentent l’histoire du petit Chaperon-Rouge ont toute la grâce rustique d’un récit villageois, et ceux qui racontent l’histoire de la Barbe-Bleue toute la dure magnificence de la vie féodale à l’aurore de la renaissance. Il est vraiment difficile de faire un choix parmi tant de poétique compositions : , arrêtez cependant vos yeux sur celles qui racontent les histoires du Petit Poucet, de la Belle au bois dormant et de Peau d’Ane. Tous les clairs de lune de la féérie brillent dans les dessins qui illustrent les aventure de la filleule de la fée des lilas ; le château de la Belle au bois dormant pourrait servir de décor aux plus poétiques de contes allemands, et l’heureux Petit Poucet, à qui jusqu’aujourd’hui les modestes taillis de la France avaient suffi pour l’égarer, a obtenu l’insigne honneur d’errer avec ses frères dans des paysages grandioses et sauvages, tout comme s’il était Siegfried l’invincible et non pas le fils du pauvre bûcheron.


EMILE MONTEGUT


V. DE MARS.