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constances imprévues, et, par cette application à la réforme des finances publiques qui est le devoir et l’œuvre féconde des temps de paix, imprimer une impulsion plus saine à l’activité industrielle et commerciale de la nation. Il nous semblait que lorsqu’un tel appel était adressé par le gouvernement aux assemblées politiques, il n’était personne qui ne dût l’accueillir avec joie. Nous nous imaginions que chacun ferait preuve de zèle, d’abord pour bien comprendre la pensée du gouvernement, ensuite pour en seconder la réalisation.

Nous regrettons de le dire : le public n’a pas trouvé dans les discours qui ont été prononcés au sénat cette sorte d’électricité morale par laquelle un mouvement d’opinion s’associe à une heureuse entreprise politique. Il ne semble pas que la question principale ait été bien saisie par ceux des sénateurs qui ont pris part à la discussion. Chose bizarre, quoique les votes fussent acquis à la proposition du gouvernement, les discours trahissaient une sorte de mauvaise humeur ou une maussade hésitation de pensée. On avait l’air de se réveiller de mauvaise grâce, et de ne pas vouloir croire aux difficultés, aux dangers de la situation financière où les vieux erremens nous avaient conduits. On était visiblement mécontent d’apprendre que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il y a en France des courans bien contradictoires. Il est des temps où le dénigrement est universellement à l’ordre du jour, où nous mettons une émulation maladive à nous décrier nous-mêmes sous toutes les formes, à nous rabaisser sur tous les points. Il en est d’autres où nous nous épuisons en adulations sur notre propre compte, où nous nous admirons avec une infatigable complaisance, où toutes les bouches officielles, tous les organes de la publicité se croient tenus de célébrer à l’envi, et à tout propos, nos mérites, notre suprématie, notre gloire. Dans certaines régions de notre monde politique, on était évidemment dans une de ces veines de béatitude enchantée ; l’on y a su mauvais gré à M. Fould d’avoir troublé un beau songe. Sans doute l’on n’a eu que de l’admiration pour les lettres adressées par l’empereur au ministre d’état et au ministre des finances ; mais le terrible mémoire dont l’empereur a autorisé la publication semble n’avoir été pour certaines gens qu’une révélation malencontreuse.

C’est à ce conflit de sentimens froissés et d’illusions contrariées que nous attribuons le ton chagrin et la stérilité de certains discours prononcés au sénat. Au lieu d’attaquer de front la question principale et d’entrer de bon cœur dans la voie ouverte par le gouvernement, on s’est égaré dans des préoccupations rétrospectives, dans des apologies mesquines. La renonciation aux crédits supplémentaires et extraordinaires par décrets, le vote du budget par grandes sections ne seraient-ils pas un retour au régime parlementaire et au système de la responsabilité des ministres ? Voilà par exemple une des questions dont on s’est le plus ému. Ce n’est point un retour au régime parlementaire, c’est au contraire l’abrogation d’une tradition de