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s’y appliquait sérieusement, de tirer le trésor ottoman de la gêne et de rétablir un ordre quelconque dans l’empire. Après les finances de la Turquie, les plus mauvaises de l’Europe sont celles de la Russie. La Russie est un pays riche assurément ; ses misères financières n’accusent que l’impéritie de son gouvernement, lequel, après avoir sollicité pour les voies ferrées le concours des capitaux étrangers, à cru habile de faire perdre soixante millions aux capitalistes qui avaient répondu à son appel. Les finances autrichiennes sont plus mal famées que celles de la Russie : c’est à tort ; elles sont pitoyables sans doute, mais du moins on n’en dérobe pas les misères à la publicité, L’Autriche vient de faire sa confession financière devant le Reichsrath ; c’est une récapitulation de déficit annuels considérables qui n’ont pas cessé depuis quatorze ans : le crédit faisant radicalement défaut, la confiance et la bonne harmonie manquant à la situation politique, on ne sait comment l’Autriche pourra conjurer ces désastres. L’Italie, pour deux exercices seulement, 1861 et 1862, annonce un déficit de 700 millions. Il est vrai qu’elle comble cette lacune avec des ressources prévenant des emprunts négociés, qui s’élèvent à environ 550 millions, et qu’elle compte pourvoir au reste avec des impôts : situation très délicate, mais qui serait promptement sauvée, si la politique ne jouait pas de mauvais tours à l’Italie. Nous ne parlons pas de la France, qui a peu d’efforts à faire, des impôts nouveaux à créer, un emprunt à négocier, pour éviter le danger qu’elle a entrevu. Nous ne parlons pas de l’Angleterre, qui en un mois vient, dit-on, de dépenser de 3 à 4 millions sterling en arméniens maritimes, et qui, lors même que son conflit avec les États-Unis n’Irait pas jusqu’à la guerre, aura probablement de ce chef à ajouter quelques pence par livre à son income-tax. Nous ne parlons pas de l’Espagne, dont les finances dans ces derniers temps avaient paru s’améliorer, mais qui, malgré sa fierté proverbiale, ne craint pas de compromettre son crédit renaissant en manquant aux engagemens qu’elle avait pris envers les victimes de ses anciennes banqueroutes. Restent les États-Unis, qui cette année, en prodigalités financières comme en convulsions politiques, dépassent tout le monde. En moins de deux ans de guerre civile, les États-Unis auront dépensé plus de 3 milliards. D’un bond, ils seront arrivés à se donner une dette fédérale énorme. Profond désordre moral et manque de décision et d’énergie, vaste déperdition des forces économiques du monde constatée par l’épuisement de toutes les finances publiques, voilà, au point de vue politique, le fond de l’année 1861. En même temps disparaissent des hommes qui donnaient du ton aux pays auxquels ils appartenaient ou en maintenaient discrètement l’équilibre : il y a quelques mois, le comte de Cavour ; il y a quelques jours, le prince Albert. Le drame, en se traînant, se complique, et quelques-uns dès personnages qui avaient le plus d’influence sur la conduite de l’action ont disparu. 1861 transmet à 1862 Un pénible héritage.