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ils ne pouvaient restaurer le bourgeois et le paysan tels qu’ils existaient il y a deux cents ans. Ceux-ci, dès qu’ils eurent la parole, protestèrent contre le rôle subalterne qu’on leur assignait et se constituèrent en opposition. La noblesse se vit ainsi obligée de lutter, et pour le faire avec quelque chance de succès, elle dut emprunter les armes de ses adversaires : elle devint parlementaire, elle s’organisa en parti, La révolution de 1848 renversa inopinément les beaux rêves de la noblesse prussienne, qui n’essaya même pas de résister au choc ; elle vota sans hésiter sa propre déchéance, et, abandonnant le trône au gré des flots révolutionnaires, se retira dans ses terres.

Ce n’était là qu’une feinte. L’armée avait été vaincue dans les journées de mars 1848 ; l’armée eut sa revanche six mois plus tard, lorsqu’elle entra, sans coup férir, dans la capitale pour disperser la constituante. À ce moment, le parti féodal reparut sur la scène politique. Un ministre bourgeois, en mettant la main sur la vieille législation agricole et financière, avait, comme il le disait lui-même, « coupé dans les chairs vives de la noblesse. » Ce fut pour empêcher la bourgeoisie de « couper » davantage que la noblesse mit obstacle sur obstacle à l’établissement définitif du système constitutionnel. Grâce à ses efforts, la charte de 1850 devint un mélange de clauses féodales et de principes libéraux. Au dernier moment, lorsque la loi fondamentale fut présentée à la sanction du roi, le parti féodal remporta une nouvelle victoire : le roi exigea que la chambre haute fût composée de façon à satisfaire les prétentions de l’aristocratie. Le parlement, de peur de tout remettre en question, consentit. et la Prusse se trouva ainsi dotée d’une pairie héréditaire et viagère. Ce n’était point assez : une part égale avait été faite dans la chambre haute à l’élément titulaire et à l’élément électif ; le parti féodal ne permit pas que cette organisation entrât en vigueur. Il patienta jusqu’aux élections générales de 1852, remplit, grâce au concours puissant du ministère Westphalen, la chambre basse d’une majorité de fonctionnaires qui n’avaient rien à refuser au pouvoir, et obtint le fameux article 65 de la constitution prussienne ainsi conçu : « La première chambre sera formée en vertu d’une ordonnance royale qui ne pourra être changée qu’en vertu d’une loi. La première chambre sera composée de membre, appelés par le roi à titre héréditaire ou à vie. » Plein pouvoir était ainsi donné au roi de composer la chambre haute comme bon lui semblerait ; une seule condition lui était imposée : Il devait en nommer les membres. Cette dernière restriction déplut à la noblesse, qui voulait prendre ses précautions contre les fournées de nouveaux pairs. Trompant la religion du roi, qui ne se doutait guère qu’on lui faisait signer un acte entaché d’illégalité, l’aristocratie fit introduire