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l’Europe, pourraient facilement rendre son ancienne importance à la culture du cotonnier, car sur les bords de la Méditerranée les terrains en friche et les bras inoccupés ne manquent pas. Ainsi les Algarves, l’Andalousie, la Sardaigne, la Sicile, les provinces napolitaines, offrent des terrains extrêmement propices à la production des cotons et déjà utilisés en partie ; mais il est probable que tous les produits obtenus dans ces contrées seront réservés pour la consommation locale. La Sicile les a toujours employés dans ses propres manufactures, et ce n’est pas au moment où l’Italie se relève pour entrer dans une nouvelle ère politique et industrielle qu’on peut s’attendre à voir les Italiens exporter en quantités considérables une matière première dont ils ont eux-mêmes besoin. Les industriels de l’Europe occidentale ne doivent guère compter non plus sur les provinces de la Turquie et de l’Asie-Mineure, où la culture du cotonnier va diminuant sans cesse aussi bien que la fabrication des tissus. Smyrne, qui exportait 50,000 balles vers la fin du siècle dernier, n’expédie plus aujourd’hui qu’une faible quantité de cotons, devenus très médiocres par le manque de soins, et le chemin de fer de Smyrne à Éphèse et Aïdin, qu’achève actuellement une compagnie anglaise, n’a point encore stimulé le zèle des planteurs du pays. Il en est de même dans les autres provinces turques du Levant, où partout l’initiative des Francs et des Grecs vient se briser contre le fatalisme musulman : la production totale de l’empire atteint à peine 65,000 balles, dont la moitié est consommée sur place. Parmi les pays mahométans des bords de la Méditerranée, l’Égypte seule est en mesure de développer largement la culture du cotonnier, à laquelle elle doit en grande partie sa prospérité. Déjà ses exportations de coton s’élèvent en moyenne à 150,000 balles ; la crue soudaine du Nil en 1861 a détruit un quart de la récolte, mais ce désastre n’a pas empêché les fellahs d’augmenter l’étendue de leurs plantations. M. Heywood, secrétaire de la Cotton supply association de Manchester, ne trouve pas d’assez fortes expressions pour louer le zèle et l’activité de ces humbles travailleurs : ils ont construit dans le delta du Nil plus de 40,000 norias pour l’irrigation de leurs enclos, et, malgré la simplicité primitive de leurs instrumens, ils réussissent à nettoyer les soies du coton bien mieux que ne pourraient le faire des paysans d’Europe : malheureusement ils sont la proie d’usuriers qui fixent le taux annuel de leurs prêts à 60 ou 70 pour 100, et maintenant ils attendent comme un grand bienfait la création d’une banque agricole qui doit leur faire des avances au taux déjà fort usuraire de 1 à 2 pour 100 par mois. Quel exemple donnent ces pauvres fellahs égyptiens à nos colons d’Afrique, chez lesquels on a si bien encouragé, si bien protégé la culture du cotonnier, que la récolte de 1861, après sept ou huit années de travaux, s’est élevée