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qui devra porter les frais de réparation et d’entretien de tous ces travaux publics.

Enfin le grand, l’insurmontable obstacle à la prospérité de la culture du coton dans les états confédérés, c’est ce qui semblait avoir été jusqu’à nos jours la cause de son développement si rapide, c’est l’esclavage. Violée par les peuples ou par les individus, la morale se venge toujours, et l’on peut se demander si les états d’Amérique, jadis unis, ne doivent pas la situation difficile où ils se trouvent maintenant, les uns à la possession des esclaves, les autres à leur acquiescement silencieux. Trop faibles pour se venger, les nègres ne se sont point révoltés contre leurs maîtres ; mais voici que les maîtres accomplissent eux-mêmes avec un horrible sang froid leur immense ruine. Vouant leur pays à l’invasion, leurs champs au ravage, et peut-être leurs maisons à l’incendie, ils se sont, en pleine paix, lancés tout à coup dans les terribles aventures de la guerre civile. Si leur cause, c’est-à-dire celle de l’esclavage, devait triompher pour un temps, s’ils devaient donner un démenti à la conscience humaine, eh bien ! cette ruine ne serait que retardée ; ils sont irrévocablement condamnés par la nature même du travail qu’ils emploient. Il faut aux planteurs pour leurs cultures un domaine indéfini. Campés sur le sol, ils en exploitent sans pitié la fougueuse fécondité, comme ils exploitent aussi la force du nègre pendant sa jeunesse ; quand la terre est appauvrie, ils l’abandonnent pour transporter plus loin leurs cultures et leurs campemens d’esclaves jusqu’à ce que le territoire entier soit devenu improductif. C’est pour cela que tant de planteurs de la Virginie, du Maryland, du Kentucky, avaient cessé de cultiver le sol et s’occupaient principalement de l’élève des esclaves destinés aux marchés du sud. Les propriétaires fidèles à l’agriculture n’avaient pu continuer à s’enrichir qu’en s’emparant de territoires encore vierges. Les rivages de l’Atlantique leur avaient d’abord suffi, puis ils avaient traversé les Apalaches ; ils avaient fait acheter la Louisiane, les Florides, envahi la magnifique vallée du Mississipi ; ensuite ils avaient employé toutes les forces des États-Unis à conquérir le Texas, à détacher du Mexique un territoire immense dont ils espéraient faire leur domaine ; ils attaquaient l’île de Cuba, bien qu’elle appartienne à des possesseurs d’esclaves comme eux ; ils envoyaient des pirates dans le Honduras et le Nicaragua. Et tandis qu’ils gagnaient vers le sud et l’ouest, ils essayaient aussi de gagner vers le nord ; ils se faisaient accorder par le congrès le droit heureusement illusoire de s’emparer du Kansas et du Nebraska ; ils obtenaient aussi de la cour suprême la possession virtuelle de tout le nord de la république, puisque l’esclave était déclaré propriété inviolable aussi bien sur le territoire libre que sur les