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dise, un bénéfice relativement assez faible par balle de coton[1] ; mais après une guerre heureusement terminée, de combien leurs débours ne seront-ils pas augmentés ! En supposant que les nègres soient toujours aussi dociles qu’ils l’ont été jusqu’à présent et n’occasionnent pas des frais de surveillance et de répression inutiles autrefois, il faudra dépenser plus d’argent pour leur nourriture, leurs vêtemens, leurs outils, et tous ces objets manufacturés qu’on achetait dans les états yankees, désormais séparés par une barrière de douanes. Les planteurs, devenus souverains, auront à payer leur armée permanente, leur marine, leurs employés de toute sorte ; ils auront à élever des monumens publics, à servir une rente aux créanciers de l’état, à préparer en temps de paix une guerre future, soit de défense, soit d’invasion. Pour remplir leur trésor public, à quel genre d’impôts auront-ils recours ? Peuple agricole par excellence et dépendant de la France, de l’Angleterre, du Canada, pour leurs articles manufacturés, ils ne pourront s’empêcher d’ouvrir largement leurs ports et ne frapperont que des droits légers sur les objets d’importation. C’est donc à leurs produits agricoles, c’est au coton qu’ils demanderont le budget de la paix, comme ils lui demandent aujourd’hui celui de la guerre ; pour alimenter leurs finances, ils seront obligés de tarir les sources mêmes de leurs revenus. Et non-seulement l’impôt grèvera le coton américain, et lui rendra la concurrence plus difficile avec les produits étrangers, mais. les transports aussi seront devenus beaucoup plus coûteux. Tandis que les voies de communication auront été considérablement améliorées dans les autres pays cotonniers, dans l’Hindoustan surtout, la plupart des chemins de fer agricoles de la confédération du sud auront été abandonnés à cause du manque de locomotives ou de l’arrachement des rails, les chemins vicinaux auront été coupés de fondrières, les ponts, les débarcadères seront tombés en ruine, les magasins auront été transformés en casernes. C’est encore le coton

  1. Un économiste américain, M. Kendall, a établi de la manière suivante le calcul des profita d’un planteur de coton :
    Intérêt sur la valeur moyenne d’un nègre de champ. 80 dollars.
    Nourriture et vêtement. 75
    Perte de temps, transport, commission, etc… 30
    Total 185 dollars.

    En admettant qu’un nègre puisse cultiver 4 acres (1 hect. 60) et recueillir 500 livres par acre, évaluations qui dépassent de beaucoup la moyenne, le produit de la terre par tête de nègre serait de 2,000 livres, soit, à 10 cents la livre, rendue à la Nouvelle-Orléans, 200 dollars, ce qui ne laissé au planteur qu’un bénéfice de 15 piastres par nègre ou de 3 piastres 75 cents par acre.