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bataille par les petits blancs qui forment le gros de l’armée. Ils ont de plus l’avantage de connaître le danger auquel ils s’exposent, et combattent avec un courage naturel doublé de désespoir. Sachant que tôt ou tard, par la force des choses, ils peuvent être pris entre l’invasion des troupes du nord et l’insurrection servile, ils luttent non-seulement pour leur indépendance nationale, mais aussi pour leur fortune, leurs foyers, leur vie et celle de leurs enfans. Certes une armée composée de pareils élémens doit être redoutable ; mais il est impossible qu’en faisant bonne garde sur les frontières, elle ne néglige pas en même temps ses récoltes. L’œil de l’économe ne remplace pas celui du maître. Pendant que les planteurs et leurs fils s’exercent au maniement des armes sur les bords du Potomac et du Mississipi, les esclaves, débarrassés d’une surveillance de tous les instans, s’ingénient de mille manières pour éviter le travail ou pour le ralentir. Rusés comme le sont tous les faibles, ils semblent déployer un grand zèle à leur tâche de chaque jour ; mais, en dépit de leurs démonstrations, les chemins de service sont bientôt défoncés, les haies sont abattues, et la récolte est étouffée par les mauvaises herbes ou dévorée par les vers.

À cette première conséquence de la guerre s’en ajoute une autre bien plus importante : la nécessité absolue pour la confédération de remplacer la culture du coton par celle d’autres denrées. Avant la guerre, les états à esclaves s’occupaient presque uniquement des plantes industrielles, le coton, le sucre, le tabac, et négligeaient les plantes alimentaires. C’était du nord qu’ils recevaient leurs céréales, leur farine, et jusqu’aux fruits de leur table ; c’est au nord qu’ils demandaient aussi le maïs pour leurs esclaves et le foin pour leurs chevaux : à l’exception du riz et de quelques racines, ils étaient redevables à leurs compatriotes yankees de tout ce qui formait leur nourriture quotidienne. Aussi la guerre des frontières et le blocus des côtes ont-ils été suivis d’une disette générale : presque séparés du reste du monde, les planteurs de la confédération du sud en sont momentanément réduits à leurs propres ressources et ne peuvent se procurer de farines qu’à des prix exorbitans ; pour vivre, il leur faut donc nécessairement consacrer une grande partie de leurs terres à la production du maïs, du riz, du froment, et négliger d’autant les plantes industrielles. Avant que la guerre éclatât, le gouvernement provisoire de Montgomery donnait aux propriétaires d’esclaves le pressant conseil de s’adonner à la culture des vivres ; mais, depuis l’ouverture des hostilités, la situation périlleuse du Sud au point de vue de l’alimentation publique s’est encore aggravée, et journaux et législatures ne cessent de rappeler aux planteurs l’impérieuse nécessité de pourvoir avant tout aux besoins de