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Mais, dira-t-on, le taux de l’escompte a bien pu rester invariablement fixé à 4 pour 100 pendant trente-deux ans, de 1820 à 1852, excepté en 1847, où il a été un moment porté à 5 pour 100. Ce moment déjà où il a subi une modification, en 1847, prouve contre le fait qu’on invoque, puisqu’il a fallu, pour faire face à la crise, élever le taux de l’escompte ; mais nous reconnaissons que dans le passé les variations ont été moins fréquentes et moins considérables que depuis quelques années. La raison en est bien simple : depuis 1852, le mouvement des affaires commerciales qui repose sur le crédit est tout différent de ce qu’il était alors, il a même pour ainsi dire quadruplé. Ainsi la masse des opérations de la Banque de France, qui en 1847 avait été de 1 milliard 854 millions, s’est élevée en 1860 à 6 milliards 340 millions[1], et le commerce extérieur, qui était de 2 milliards 654 millions, s’est élevé en 1860 à 5 milliards 340 millions. Que peut-on trouver de plus éloquent que ces chiffres pour démontrer que la situation qui a précédé 1848 ne peut être invoquée pour juger la situation actuelle ? En 1847, la moyenne du portefeuille de la Banque était de 176 millions ; elle est aujourd’hui de 550, et les billets au porteur, qui ne dépassaient pas 240 millions, atteignaient, au bilan du mois de novembre 1861, 729 millions, après s’être élevés à 779 au commencement de l’année.

Avant 1848, la Banque de France était un établissement de crédit auquel on ne recourait que dans les circonstances extraordinaires ; généralement on trouvait moyen de s’en passer : le capital était partout abondant en dehors d’elle, plus abondant que les besoins. Par conséquent il n’était pas étonnant que la Banque ne fût pas soumise à des oscillations de crédit comme celles que nous avons vues depuis, et qu’elle pût maintenir le taux de son escompte à peu près invariable. Cependant, nous le répétons, lorsqu’en 1847, par suite de la disette de 1846, il fallut solder au dehors de nombreuses acquisitions de céréales et exporter du numéraire, cette invariabilité ne put subsister, et le taux de l’escompte fut porté à 5 pour 100. Aujourd’hui la situation est toute différente : le pays est certainement plus riche qu’il ne l’était avant 1848 ; il a développé tous les élémens de la production ; il a plus de chemins de fer, plus d’usines, etc. Cependant il a moins de capital disponible, parce qu’il en a davantage employé en dépenses tant productives qu’improductives. Ce n’est pas vainement qu’on a dépensé, depuis 1852, en chemins de fer 4 milliards[2], en frais de guerre 2

  1. Voyez le dernier rapport du gouverneur de la Banque sur les opérations de 1860.
  2. Voyez les documens statistiques publiés par le ministère des travaux publics, qui établissent que les dépenses faites pour les chemins de fer se sont élevées, de la fin de 1851 à la fin de 1858, à 3 milliards 55 millions. Si l’on y ajoute les dépenses qui ont été faites depuis, à raison de 300 millions par an environ, on arrive à bien près de 4 milliards.