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à chaque coup de la vague, j’ai compassion même de cette négresse dévouée qui sacrifierait sa vie pour sa maîtresse ; mais vous, qui êtes devenus pareils à des femmes, je vous méprise. Eh bien ! s’il faut se dévouer pour quelqu’un, je me dévouerai pour dona Isabela, et vous, vous serez sauvés par-dessus le marché…

Ayant ainsi parlé, le capitaine Robinson mit le pied sur le bord du navire et se précipita, la tête la première, dans l’abîme mugissant qui s’entr’ouvrait pour l’engloutir. Les matelots épouvantés poussèrent un cri qui fut entendu dans la cabine malgré le tumulte des flots. M. James s’élança vivement sur le pont, cherchant des yeux le capitaine Robinson, qui venait de sombrer sous le poids de ses lourds vêtemens. — Où est le capitaine ? demanda-t-il avec inquiétude.

— Là ! répondirent les baleiniers en montrant la mer.

— Malheureux, qu’avez-vous fait ?

— Rien, répliquèrent les matelots ; sur notre âme, il est parti tout seul, de son plein gré… Il a entendu la voix de l’autre qui l’appelait.

— Encore une fois, s’écria l’officier en s’armant d’une hache, je vous adjure de m’avouer la vérité : qui de vous a porté la main sur lui ?

— Personne ne l’a touché, répliqua un vieux harponneur aux cheveux gris. Il devait périr, c’est vrai ; mais qui de nous eût osé commettre un crime, quand nous pouvons tous paraître devant Dieu d’un moment à l’autre ?

— C’est donc moi qui commande maintenant, dit le jeune officier en jetant un regard d’anxiété sur le navire et sur la mer bouleversée par la tempête. Voulez-vous m’entendre, m’obéir ?… Tout n’est pas perdu peut-être !… Voyez là-bas, à l’horizon, ce petit coin de ciel qui semble s’éclaircir !

— Hurrah ! répétèrent en chœur les baleiniers, hurrah !

— Silence ! reprit M. James. N’insultez pas par vos clameurs à celui dont vous avez causé la mort par vos folles croyances.

— Folles tant que vous voudrez, dit le maître d’équipage ; il n’en est pas moins vrai que la tempête s’apaise.

Vers le soir, la tempête commença en effet à s’apaiser. La mer restait encore horriblement agitée, et le Jonas, fatigué par les vagues, tremblait dans toute sa membrure ; mais déjà l’espérance, qui va toujours au-devant de ce que souhaite le cœur de l’homme, montrait à l’équipage les flots calmés et le ciel serein. Chacun reprit son poste avec ardeur et obéit avec docilité aux ordres du nouveau capitaine. Il était bien temps que le Jonas sortît de ces parages inhospitaliers ; les assauts multipliés qu’il avait dû supporter depuis